La logique contre le mensonge

Présentation : On voit aujourd'hui une lutte permanente pour l'occupation et le des esprits. Aux antiques combats territoriaux se sont substitués de multiples combats idéologiques dont l'objectif est de s'emparer de nos opérations mentales, de nos idées et, par là, de notre volonté. La publicité est la forme la plus visible de ce combat ; l'on sait aujourd'hui que ses méthodes se sont imposées même en politique.
Se développe ainsi la forme la plus subtile du mensonge, celle qui consiste à
induire en erreur en ne disant que des choses vraies. Nous pouvons nous défendre dans ce combat spirituel, et parmi les armes nécessaires la simple logique vient au premier rang si nous savons l'appliquer dès le début, dès l'énoncé des mots, en vérifiant leur pertinence, leur clarté et l'usage qui en est fait. Mais il faut encore savoir s'agripper aux vérités sues comme aux branches salutaires au-dessus des flots d'informations incontrôlables qui nous emportent.

Au début des années 1980, un mathématicien russe déporté en Sibérie
donna une belle démonstration du mensonge régnant dans l'empire
bolchevique. Il se fit photographier tenant un écriteau sur lequel était inscrite cette phrase soigneusement composée : « Je demande un visa pour sortir du paradis soviétique et me rendre dans l'enfer capitaliste. »
On ne put alourdir sa peine et prolonger sa détention car il avait mis à nu l'hypocrisie du système communiste d'une manière imparable. Le contredire eut été démentir la propagande officielle du paradis des travailleurs.

Aujourd'hui le mensonge institutionnel a toujours cours, mais la
« camisole idéologique » a démontré une efficacité supérieure. Georges
Lukaks, l'intellectuel du parti communiste hongrois, l'avait pressenti
lorsqu'il écrivait :
« Au fond, il n'y a que deux manières : la manipulation brutale, c'est le
stalinisme ; la manipulation subtile, c'est l'american way of life ».
Et ce « mode de vie américain », la société de consommation, a l'avantage de
dénaturer l'homme plus profondément encore, si bien qu'elle ne court guère
le risque d'une révolte libératrice.
Soljenitsyne a qualifié l'Union soviétique de « société du mensonge » et
donné à sa résistance le slogan jit nié po ljy (vivre, mais pas selon le
mensonge).
Ne pas vivre à tout prix, c'est le premier acte de résistance :
affronter le risque d'une condamnation au Goulag. Mais aussi vivre en
faisant l'effort quotidien d'évacuer le mensonge déversé en permanence par
la propagande.

Le second aspect de ce combat nous concerne tout autant que les dissidents soviétiques. Plus encore même peut-être, car une propagande plus subtile et plus insidieuse (plus « invasive ») sera plus difficile à déceler et à
contrer. S'il y a deux formes de manipulation, il existe trois grandes
manières de mentir.

Dire le faux, c'est la plus flagrante (mais encore doit-on disposer d'autres sources d'information pour s'y opposer) ; produire des statistiques, c'était naguère une boutade de le dire ! mais c'est bien aujourd'hui un outil permanent pour influencer les esprits et les comportements (en particulier grâce aux sondages) ; enfin induire en erreur en ne disant que des choses vraies.

Cette troisième forme de mensonge acquit ses lettres de noblesse dès le
quatrième siècle avant Jésus-Christ avec le stratège chinois Sun Tzeu : c'est
l'art – ici légitime – de faire parvenir à l'ennemi des informations vérifiables
(donc « vraies ») mais si partielles ou si tendancieuses qu'elles finissent par
le tromper.
La forme vile de cet art, elle, rejoint souvent la « désinformation », selon la définition qu'en donnait Vladimir Volkoff : énoncer 80 % de vrai pour faire passer 20 % de faux.

Le célèbre livre de Darwin sur l'Origine des Espèces (1859) en constitue un très bon exemple.
Ce gros ouvrage compile de nombreuses observations faites chez les
éleveurs ou dans la nature, en exposant comment des variations apparaissent
au sein des espèces : la production des races de chiens, par exemple, ou
encore la forme du bec des pinsons dans les îles Galápagos. Ce sont autant
de faits intéressants qui montrent en Darwin un naturaliste érudit et
passionné. Mais tous ces faits concernent la transformation d'espèces
existantes, leur adaptation, jamais leur origine proprement dite, jamais
l'apparition d'un organe nouveau justifiant d'introduire dans la classification une espèce véritablement nouvelle.
Seuls le titre de l'ouvrage et l'intention de l'auteur ont à voir avec l'origine des espèces.

D'ailleurs, aux yeux de Darwin, les espèces n'ont pas d'existence réelle ;
les êtres vivants sont tous autant d'individus singuliers, en transit entre un
type ancien inconnu et le type indéfini à venir qui va s'imposer momentanément par un quelconque avantage sélectif.

On comprend que les naturalistes de l'époque aient résisté facilement à
l'attaque de Darwin. Il s'en plaint à son ami Asa Gray, un botaniste américain auquel il écrit, en désespoir de cause : « Il est très important que
mes idées soient lues par des hommes intelligents accoutumés aux arguments
scientifiques tout en n'étant pas naturalistes.
Cela peut paraître absurde, mais je m'imagine que de pareils hommes entraîneront à leur suite les naturalistes qui s'entêtent à croire qu'une espèce est une entité. »

On voit bien ici la manœuvre : il faut d'abord isoler une cible facile à
convaincre, les gens cultivés mais qui ne sont pas entraînés à décrire et à
classer logiquement les plantes ou les animaux. La cible n'a qu'une idée
vague de la taxonomie et ne comprend pas à quel point la notion d'espèce
est rigoureuse, pertinente et si durablement fonctionnelle que même les
évolutionnistes sont encore et toujours contraints de s'en servir comme si
chaque espèce était bien une entité. On va donc convaincre ceux qui ne
savent pas ce que c'est et qui ne s'en servent pas, que la notion d'espèce est
une fiction arbitraire.

Ce fut d'autant plus facile que le philosophe Spencer avait déjà popularisé l'idée d'une « évolution » cosmique allant de l'inerte au vivant et
débouchant sur la conscience humaine.

La philosophie du progrès, l'idée que les êtres se complexifient avec le temps pour aboutir à des formes supérieures, cette idée si flatteuse qu'on ne lui demandait pas ses preuves, allait d'elle-même donner raison à Darwin, d'autant plus vite qu'il apportait un argument décisif au mode de colonisation pratiqué par l'Angleterre victorienne. En déclarant que la survie du seul plus apte était une loi de la nature, et la loi y opérant le progrès, Darwin justifiait le génocide des Indiens d'Amérique du Nord comme la chasse aux aborigènes d'Australie.
Quand le gouverneur Arthur, en 1885, eut l'idée de réclamer des missionnaires pour évangéliser les natifs de la Tasmanie, on lui fit répondre que c'était sans
objet.
Et dans les statistiques officielles, les aborigènes d'Australie furent
dénombrés dans la catégorie du cheptel animal (comme les moutons)jusqu'en 1965 !

On le voit, le flou introduit dans la notion d'espèce portait à conséquences… On crut Darwin parce qu'on souhaitait qu'il eût raison. Mais
une simple analyse logique, axée sur la définition du mot « espèce », aurait
permis de détecter la désinformation.

Aujourd'hui la même confusion se poursuit, cette fois sur le mot« évolution », puisqu'on lui fait désigner à la fois les phénomènes constatés de mutations au sein de l'espèce, et la mythique évolution transpécifique qui est d'une autre nature et demanderait des preuves adéquates.

Cet art de modifier subtilement le sens des mots est à l'œuvre dans tous
les domaines. Nancy Pearcey en donne un exemple significatif avec l'emploi
du mot « personne » dans la dernière campagne présidentielle américaine.
Depuis des années, les associations pro-vie américaines luttaient pour faire
admettre que le fœtus est un être humain et non un simple amas de cellules
produites par le corps maternel. Leur idée est qu'un homme politique
acceptant cet argument devra refuser l'avortement, dès lors considéré comme
un infanticide.

Mais les sophistes ne chôment pas.
Le candidat démocrate Kerry, admet désormais que « la vie humaine
commence à la conception » mais demeure favorable à l'avortement : il explique dans un entretien avec Peter Jennings que le fœtus est bien physiologiquement humain, mais qu'il « n'a pas la forme de vie qui est celle de la personnalité (personhood) », car il n'a ni autonomie ni pouvoir de choix.
En revenir à la définition des mots, et s'y cramponner ; n'employer le mot
qu'à bon escient, est donc le premier et peut-être le seul moyen nécessaire
pour résister à la propagande. Le raisonnement logique est de construction
facile, mais il lui faut pour s'élever le socle solide du sens propre des mots. Il lui faut aussi la volonté de s'y tenir comme de se tenir aux faits bien établis. Dans le roman d'anticipation « 1984 » de George Orwell, le héros se souvient que l'hélicoptère avait été inventé avant la prise du pouvoir par le Parti. La propagande a beau répéter que le Parti a tout inventé, il réagit intérieurement contre ce matraquage mental (c'est l'age contra du combat spirituel) et cette résistance devient le point de départ d'une libération qui le conduit à retrouver la pleine condition humaine.

En se cramponnant aux vérités entrevues, ainsi le constat qu'on n'a jamais
vu apparaître un organe nouveau, ou que les chats donnent toujours des
chatons, nous pouvons aussi soulever la chape du conditionnement idéocratique. Car si la propagande cherche à nous tromper sur un point aussi facilement vérifiable, c'est l'indice que tout ce qui vient de la même source doit être reçu avec circonspection.

Alors le sens critique retrouve sa destination première, qui est de nous forger une vision du monde cohérente avec les faits réels et non contradictoire.
Ce souci de logique, cette réaction salutaire contre l'absurde, n'est peut être
qu'un aspect du combat que nous avons à mener ici-bas, mais c'est un
aspect décisif.

Nous savons de l'Adversaire qu'il est« homicide et menteur dès le commencement ».

Tout ce qui va contre la vie humaine (sous toutes ses formes, la survie
biologique n'étant que la première) est donc signé ; et tout ce qui adopte le
mensonge comme moyen nécessaire l'est aussi bien.
C'est pourquoi, dans les sens du terme, la vérité nous libèrera (Jn 8,32).
Et nous savons pouvoir mettre notre confiance en Celui qui a fait cette promesse.