Illusion cognitive, la dépendance au contexte
Quel est le le point de base de la plupart des techniques de manipulation mentale ?
Vous avez déjà rencontré sur ce site certaines illusions classiques. On peut y ajouter également la très fameuse illusion de Müller-Lyer demandant de comparer la taille de deux traits :
Ces illusions ludiques nous renseignent sur les erreurs systématiques que commet notre cerveau lors de l'interprétation d'une image. Cependant, vous saurez qu'en tant qu'erreur du cerveau, des illusions peuvent affecter l'ensemble de nos sens voire directement le raisonnement même. On parle dans ce dernier cas d'illusion cognitive.
Et tout comme les illusions standards, ces illusions cognitives sont très difficiles à reconnaître et à éviter. Même en en prenant conscience, l'illusion persiste comme dans le cas de Müller-Lyer. Le problème, c'est que les illusions cognitives touchent à la prise de décision et peuvent de ce fait avoir des conséquences très concrètes. En effet, ces illusions sont le point de base de la plupart des techniques de manipulation mentale.
L'illusion qui va m'intéresser aujourd'hui concerne la dépendance au contexte. Penchez-vous sur la situation suivante :
Vous êtes un nouveau ministre chargé de mettre en place un système d'impôt dans une logique d'aide aux pauvres. Il n'existe encore pas grand chose dans le système actuel. Concrètement, dans le cas de base d'une famille sans enfant, nous avons simplement un impôt plus élevé pour les riches que pour les pauvres. Cependant, vous savez qu'il est bénéfique pour une nation d'encourager la natalité. Vous avez donc envie de mettre en place des exonérations d'impôt pour les familles qui font des enfants. Ayant quelques notions de rhétorique, vous savez qu'il est préférable pour faire accepter votre point de vue de faire deux propositions :
- Favoriser les pauvres en mettant en place une exonération de 10 % par enfant pour les familles pauvres et de 5 % pour les familles riches.
- Favoriser les riches en mettant en place une exonération de 5 % par enfant pour les familles pauvres et de 10 % pour les familles riches.
Bien sûr, c'est la première proposition qui est visée. La seconde est absolument impensable, on marche sur la tête ! Ce sont bien évidemment les personnes aisées pouvant plus facilement faire des efforts qui doivent le faire. Un petit peu de démagogie vous permet de traiter les partisans de la seconde proposition de fachos et vous voilà parti pour mettre en place votre politique. Nous nous retrouvons donc dans la situation résumée par le schéma suivant :
Malheureusement, le président a décidé entre temps que la situation de base dans sa nation devrait être celle d'une famille ayant deux enfants et non pas sans enfant. Qu'à cela ne tienne, vous allez retranscrire exactement la même situation en prenant comme point de départ la famille de deux enfants plutôt que sans enfant. Vous allez simplement changer les chiffres et mettre en place une pénalité d'impôt pour chaque enfant manquant et cela reviendra exactement au même. Évidemment, vous êtes obligé de refaire toute votre présentation. Vous reprenez donc vos deux situations de base :
- Favoriser les pauvres en mettant en place une pénalité de 5 % par enfant manquant pour les familles pauvres et de 10 % pour les familles riches.
- Favoriser les riches en mettant en place une pénalité de 10 % par enfant manquant pour les familles pauvres et de 5 % pour les familles riches.
Tip top ! Comme prévu, la première proposition fait l'unanimité. Vous refaites le coup du fascisme pour marquer des points dans les sondages et puis vous remballez vos affaires et vous êtes bon pour mettre en place votre idée résumée par le schéma suivant :
Oh mais, attendez une minute… N'est-on pas dans la situation exactement inverse de tout à l'heure ? Celle qui était précédemment rejetée avec rires et quolibets ? Eh bien si. Mais que s'est-il passé ?
En fait, en y réfléchissant calmement, cela prend tout son sens. Si on cherche à favoriser un groupe dans un mouvement (l'augmentation du nombre d'enfants), il est normal que cela devienne en fait une pénalisation dans le sens inverse (la diminution du nombre d'enfants). Il est donc impossible de favoriser les pauvres par rapport aux riches vis-à-vis de l'évolution du nombre d'enfants dans le cas général. Mais bon, je ne suis pas ici pour parler de politique. Ce qu'il faut retenir ici, c'est qu'un simple changement de point de vue sans incidence sur la situation réellement décrite a mis en évidence une prise de décision clairement contradictoire donc objectivement irrationnelle.
À vous de replacer tout ça dans le contexte des prises de décisions qui ont lieu tous les jours au sein du gouvernement, des tribunaux ou des grandes entreprises.