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Edo fut bâtie bien avant l'époque donnant une raison d'être à cet article. Retour en arrière : l'article précédent s'arrête en 1600, à l'époque où le nouveau souverain du Japon instaure le centre du pouvoir politique dans la ville d'Edo(1). Mais la ville existe depuis presque 150 ans avec une fondation entre 1453 et 1457. Il ne s'agit à cette époque que d'un port de pêche entourant une forteresse, bâtie par un ancien seigneur féodal(2). On peut se demander pourquoi Tokugawa Ieyasu, en prenant le pouvoir suprême en 1600(3), déplace la capitale à Edo plutôt que de la laisser à Kyoto.

10 ans avant la bataille décisive qui verra Ieyasu prendre le pouvoir, il était déjà un grand général respecté pour ses exploits. Pour le récompenser le pouvoir en place lui avait cédé le fief du Kantô, dont la capitale était Edo. La raison de ce cadeau empoisonné était d'éloigner Ieyasu, jugé dangereux, du centre du pouvoir impérial. Dissimulé derrière une chaîne de montagnes et de nombreux territoires fidèles à l'Empire, l'ambitieux seigneur s'avérait moins dangereux à Edo. Rien d'étonnant à ce que Ieyasu installe sa demeure de chef suprême chez lui, d'autant que le pseudo-pouvoir impérial reste, lui, basé à Kyoto(4).

Le nouveau shogun, Tokugawa Ieyasu, sait que la tâche de garder le pays unifié ne sera pas facile. C'est une guerre qui l'a porté au pouvoir et dans une guerre il y a un vainqueur mais aussi un perdant qui s'opposait à lui. Les hommes qui suivaient le futur shogun avant son accession au pouvoir lui seront fidèles, cela est certain, mais ceux qui s'y opposaient ? En 1635, pour remédier à toute velleité guerrière, Tokugawa Iemitsu, successeur de Ieyasu, instaure une règle très simple mais redoutable : non seulement les daimyos(5) devront vivre une année sur deux au sein d'Edo mais le reste du temps leur famille devra y résider, même en leur absence. Ils sont en quelque sorte gardés en otages.

Une telle manipulation politique est extrêmement habile. Non seulement elle assure le calme dans l'empire mais de plus elle donne à Edo une réelle force et une existence économique et politique écrasante. Centre du pouvoir et point de convergence des puissants du pays, Edo voit se développer sa richesse et toute sa force. Les habitants affluent, riches comme pauvres, et donnent à la ville une nature concrète de capitale.

Malheureusement tout gouvernement n'est pas exempt d'erreur, aussi parfait put-il paraître. La nouvelle ère, l'ère d'Edo, voit également naître un réel mouvement xénophobe. Le Japon se ferme, favorise une politique isolationniste et refuse tout commerce avec l'étranger. Le christianisme a été banni depuis bien longtemps et désormais même les européens sont défendus de poser le pied sur le territoire, sous peine de condamnation à mort. Seules la Chine et la Corée se voient l'honneur de garder des relations aux apparences diplomatiques avec le shogunat. La politique protectionniste sera brisée par les américains en 1854 qui veulent à tout prix commercer avec le Japon. Craignant une guerre similaire à celle qui s'est déroulée en Chine, le bakufu, autrement dit le shogun, choisit de se soumettre aux souhaits américains et signe un décret autorisant les ressortissants du Nouveau Monde à pénétrer sur le territoire pour commercer. Plus tard l'autorisation va s'étendre à différents pays européens.

Cette ratification sera reprochée au shogun par les partisans, plus xénophobes, de l'Empereur, qui est toujours en place à cette période. Ils reprochent à Tokugawa Yoshinobu non seulement de n'avoir pas demandé conseil à l'Empereur mais également d'avoir permis aux étrangers de pénétrer sur le territoire.

Voilà un peu plus de deux siècles que les Tokugawa règnent en maître sur le Japon et il est temps pour les partisans de l'empereur de s'élever. L'étincelle met le feu au poudre et les grands daimyo se mettent d'accord pour organiser un coup d'état. Les batailles s'engagent vers 1866 et c'est en 1868 que la guerre s'achève, voyant le retour de l'Empereur légitime au premier plan de l'échiquier politique avec l'extinction de la dynastie Tokugawa. L'empereur Meiji reprend le pouvoir, l'ère Edo prend fin et Yoshinobu n'a d'autre choix que d'abdiquer.

Pas fou, l'Empereur ! Afin d'asseoir son autorité il choisit d'installer sa demeure à Edo et la renomme Tokyo, soit la capitale de l'Est, par opposition à Kyoto, la capitale de l'Ouest. Il a de bonnes raisons de s'installer à Tokyo car l'occident du pays lui est acquis depuis longtemps, les daimyo ayant organisé le coup d'état étaient tous de l'ouest(6), de plus cela lui permet de reprendre un symbole de puissance de l'ère Edo, qu'on appelait aussi ère Tokugawa. Enfin cela lui permet de contrôler le centre véritable du pays, ses richesses et toute l'influence culturelle dont il dispose. Ainsi commence l'ère Meiji et l'avènement de Tokyo.


  1. (1) Edo signifie estuaire.
  2. (2) Otâ Dokan, pour les plus curieux.
  3. (3) Rappelez-vous, en cette période le pouvoir n'est pas réellement détenu par l'empereur qui ne sert que de chef religieux depuis que les militaires, les daimyos, ont pris le contrôle politique.
  4. (4) Edo n'a jamais été officiellement ni légalement déclarée comme étant la capitale du Japon c'est pourquoi aujourd'hui il existe encore de rares personnes revendiquant le véritable statut de Kyoto, à savoir capitale officielle.
  5. (5) Les seigneurs qui lui sont inféodés.
  6. (6) Et non pas à l'Ouest.

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