Les trois grands à Yalta

Yalta, 1945. Conférence des trois futurs maîtres du monde, qui vaincront l'Allemagne nazie d'ici quelques mois. Ils sont fiers.
Ensemble, ils viennent de créer les Nations Unies. Ils auraient aimé faire plus, trouver des points d'accord… mais leurs divergences d'opinion empêchent de véritables avancées.

À gauche sur la photographie, Churchill, l'aristocrate, a 71 ans – mais « tous les bébés lui ressemblent ».
À droite, Staline, le fils d'un cordonnier alcoolique, devenu maître de l'Union Soviétique, spécialiste en intrigues et complots. Il se dit « maître de lui comme de l'Univers » : de ses yeux, il lorgne déjà sur l'Amérique. Sobre et modéré dans son alimentation, il a envoyé – et enverra – plus de personnes au goulag que son Parti ne compte d'adhérents.
Enfin, Roosevelt, président des États-Unis, 63 ans.

Mais alors, pourquoi ! Pourquoi les trois personnes les plus puissantes(1) acceptent-ils d'immortaliser la réunion historique assis ?
Regardez les photos officiels du G20 : tous sont debout, se tiennent droits et grands…

Qu'y avait-il donc de différent en ce mois de février 1945 ?
La réponse est simple : Roosevelt est polyomyélitique. En privé, il ne se déplace qu'en fauteuil roulant ; en public il essaie au mieux de masquer sa douleur en s'appuyant sur sa canne pour déplacer ses jambes paralysées.
C'est un secret de polichinelle : tout le monde le sait, mais personne ne s'en moque, pas même les caricaturistes.

Par respect pour l'homme, tous acceptent de s'asseoir le temps de la photo.
Déjà Staline regarde de l'autre côté. Il sait déjà qu'il ne respectera pas un mot de ce qu'il a accordé. Au moment où Churchill livre aux Communes ses impressions (« Je ne connais pas de gouvernement qui s'en tienne plus fermement à ses promesses, fût-ce à son propre détriment, que le gouvernement soviétique russe »), le vice-ministre des affaires étrangères encercle le palais du roi de Roumanie, l'accuse de complot contre l'URSS et le remplace par un « compagnon de route » du parti communiste.

Le monde découvre alors le peu de sens que l'URSS accorde à ses propres termes : « gouvernements représentatifs… démocratie… élections libres ».
Alors qu'aujourd'hui encore, Yalta résonne comme le partage du monde libre, elle est au final bien moins : une suite de traités extrêmement généraux, que tous s'empresseront de violer.
C'est la guerre.


  1. (1) À ce moment, le seul allié restant de l'Allemagne est l'Italie de Mussolini – impossible donc de considérer Hitler comme une « superpuissance » comparable.