S'il est un homme rendu plus célèbre par sa mort que par sa vie, c'est bien lui ! Il faut dire que Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort incarne à merveille l'exemple-type du suicide râté… Il y aura pourtant mis toute son énergie, le pauvre !

Durant les temps troubles post-révolutionnaires, Chamfort a le malheur de se réjouir publiquement de la mort de Marat. Grossière erreur ! Ni une, ni, deux, il est dénoncé par l'un de ses proches et est envoyé illico presto au fin fond d'une geôle sordide. Allez savoir pourquoi, les autorités compétentes – l'effroyable Comité de sûreté générale – décide de le libérer au bout de deux jours seulement d'emprisonnement. Il n'en reste pas moins surveillé très étroitement… Faut dire aussi que le bougre s'est amusé à publier ce genre de poèmes, où il exprime sa nostalgie de l'Ancien Régime :

Temps heureux où chacun ne s'occupait en France
Que de vers, de romans, de musique, de danse,
Des prestiges des arts, des douceurs de l'amour !
Le seul soin qu'on connût était celui de plaire,
On dormait deux la nuit, on riait tout le jour,
Varier ses plaisirs était l'unique affaire.

Y'en a qui se sont faits couper la tête pour moins que ça !
Quelques semaines plus tard, donc, il apprend qu'il a de fortes chances de retourner en prison. Non ! Trop, c'est trop ! Notre poète ne supportera pas d'être de nouveau arrêté et incarcéré. Dans son désespoir, il ne voit qu'une seule solution : se donner la mort.
Mais, de ses propres aveux, Chamfort n'a jamais été très adroit de ses mains, et il en fera les frais bien malgré lui. La mort dans l'âme, il s'enferme dans son bureau, s'empare de son pistolet, le pointe à quelques centimètres de son visage et tire.
La détonation retentit.
Hélas pour lui, la balle dévie légèrement de sa trajectoire, lui arrachant seulement le nez et la moitié de la mâchoire. Plus déterminé que jamais à rejoindre l'autre monde, ce « contretemps » ne le décourage pas le moins du monde : il s'empare maintenant du premier objet qui lui tombe sous la main, son presse-papier. Et voilà notre pauvre Chamfort qui tente désespérément de se trancher la gorge armé de sa ridicule lame ! On s'en doute, il n'y gagne que quelques entailles, pas de quoi le faire trépasser.
Sa détermination ne faiblit pas pour autant ! Faisant sienne la devise des Shadoks « plus ça rate, plus ça a de chances de réussir », toujours muni de son arme de fortune, il tente de s'ouvrir la poitrine, sans plus de résultats… À bout de force, il se taillade enfin les jarrets, perdant une quantité effroyable de sang.
Mais quand ça veut pas, ça veut pas ! Une heure plus tard, il est retrouvé par son valet dans une mare de sang mais toujours vivant. Passant dans les mains adroites d'un chirurgien, il est tiré d'affaire… du moins pour le moment.

Quelques semaines après son suicide râté, Chamfort apprend avec joie que toutes les charges retenues contre lui sont abandonnées. Le voilà libre comme l'air ! Défiguré, mais libre ! Hélas, il ne jouira pas longtemps de sa liberté retrouvée : quelques mois plus tard, il mourra d'une vilaine maladie de peau qu'il aurait attrapée en troussant une demoiselle à l'hygiène douteuse.
Y'as vraiment des mecs qu'ont pas de bol, dans la vie !