La Légion défile. Son pas lent et solennel évoque l'endurance, la force maîtrisée. Ce rythme s'harmonise à celui, plus rapide, de son hymne… Au Tonkin la Légion immortelle… On imagine les hommes saignant et suant sous le soleil du Mexique, d'Indochine ou d'Afrique. Mais cette lenteur cesse, les voix claironnent :

Tiens : voilà du boudin, voilà du boudin, voilà du boudin !
Pour les Alsaciens, les Suisses et les Lorrains !
Pour les Belges y'en a plus, pour les Belges y'en a plus !
Ce sont des tireurs au cul !
Pour les Belges y'en a plus, pour les Belges y'en a plus !
Ce sont des tireurs au cul !

Le refrain ludique retentit. Après la marche, la halte. Le bivouac s'enguirlande de boudins ! Les soldats se refont une santé. Mais pourquoi favoriser Suisses, Alsaciens et Lorrains ? Pourquoi refuser aux Belges la graisse et l'hémoglobine ? Jules César leur rendit hommage(1) ; l'industrieux peuple d'un pays industriel, une feignasse ? Ça ne colle pas. Pourquoi cette pique ?
Les Légionnaires associent d'emblée leur chant – le Boudin – à notre identité charnelle : ripaille, tripaille et cochonnaille. Des anciens vous l'avoueront : « Pour en avoir bouffé on en a bouffé, du boudin, à la Légion ! »
Seulement… ce Boudin n'est point charcuterie.

Légionnaire au havre-sac et au boudin

Les militaires appelaient boudin la couverture roulée qu'ils chargeaient sur leur havre-sac. En 1870 la France déclara la guerre à la Prusse. Belges, Alsaciens, Lorrains et Suisses s'engagèrent en force dans la Légion. Mais Léopold II, pour protéger son royaume neutre, demanda à Napoléon III que les Légionnaires Belges ne combattissent pas les Prussiens. L'empereur y consentit : Flamands et Wallons restèrent encasernés à Sidi-Bel-Abbès. Leurs camarades font leur paquetage, la Légion va vivre sa première guerre européenne.
De leur départ naît une chanson qui égratigne les compagnons cloués au bercail, les victimes de la Diplomatie. La chanson s'élaborera(2), deviendra le refrain de l'Hymne qui porte son nom : Le Boudin.
Donc, « Tiens, voilà du boudin ! » signifiait : « — Ta couvrante !  ».
Nul satisfecit saucissier. La récompense était le casse-pipe.
Sur ce coup les Belges ont fait tintin. Mais ils n'ont pas démérité.


  1. (1) Horum omnium fortissimi sunt Belgæ « De tous les peuples [de Gaule] les Belges sont les plus braves » (Commentaires sur la Guerre des Gaules, Livre I).
  2. (2) En 1870 le Tonkin n'est pas français. Il ne le deviendra qu'en 1885.