Imaginons qu'un concours de circonstances particulier (panne d'ascenseur ou de télésiège, crash aérien, prise d'otages, insomnie persistante…) vous place d'autorité face au long tunnel d'une interminable attente.

De l'attente naît l'angoisse et l'on sait bien, depuis Pascal, que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. Donc il devient urgent de tromper l'ennui et de trouver un divertissement qui occupe suffisamment votre esprit.

Supposons qu'une Providence particulièrement généreuse vous ait mis en compagnie d'une personne qui partage avec vous le goût de la grammaire, de la linguistique et des étymologies (très improbable mais pas entièrement exclu). Vous pourrez alors vous mesurer à votre adversaire à l'occasion de ce jeu de l'homonymie, devenu le fruit de votre imagination commune.

Il s'organise autour de quatre niveaux de difficultés et implique que l'on n'ait recours à aucune aide extérieure (pas de dictionnaire, pas de connexion Internet) :

  1. Trouver des homonymes seulement homophones : maître/mettre ; art/arrhe ; ère/aire…
  2. Trouver des homonymes homophones et homographes : un lit/il lit ; un fond/il fond…
  3. Trouver des homonymes, homophones, homographes et appartenant à la même classe lexicale (substantif vs substantif, verbe vs verbe…) : un livre/une livre ; une tour/un tour…
  4. Trouver des homonymes parfaits, c'est-à-dire homophones, homographes, appartenant à la même classe lexicale et au même genre : une bière/une bière(1)

Il est aussi possible, pour corser le jeu, d'introduire une règle supplémentaire : que les homonymes soient d'origine étymologique différenciée !
Un petit exemple valant mieux qu'un long discours, prenons deux solutions possibles au niveau 4 : un chien/un chien(2) et un chaton/un chaton(3). A priori, les deux exemples sont acceptables. Néanmoins, si l'on applique la règle « expert », seul le couple chaton/chaton est valable !
On appelle « chien » la pièce de fusil car les premiers modèles de chien ressemblaient à la tête de l'animal du même nom. La définition est certes totalement différente, mais l'origine étymologique des deux mots est la même.
Le petit du chat s'appelle chaton, car il a reçu un suffixe (-on) répandu pour désigner les petits d'animaux (âne/ânon, ours/ourson, oie/oison, etc. ), son origine est donc la même que celle du mot chat. La pièce d'orfèvrerie, elle, vient de chastun, mot du XIIe siècle, ayant la même définition que notre actuel, et second, chaton. Nous avons donc bien deux étymologies différentes pour ces homonymes parfaits.

Il est évident que cette règle est difficile à appliquer sur un télésiège en panne, réservez-la donc pour les parties disputées à proximité d'un dictionnaire(4).

L'invention partagée de ces règles et les confrontations qui s'ensuivent procurent une véritable distraction et rendent alors presque insensible le passage du temps. Donc, si vous vous sentez quelque affinité avec ce jeu (passionnant, s'il en est !) et que vous avez parfois besoin de tuer les heures, n'hésitez pas à le mettre en pratique.


  1. (1) Il y a déjà sur Omnilogie un article qui s'intéresse aux significations distinctes d'homonyme, homophone et homographe. Ce n'est pas très utile de redire ce qui est bien dit ailleurs. Le but ici est juste de proposer une manière de jouer avec ces notions linguistiques.
  2. (2) L'animal domestique/la pièce d'un fusil servant à tenir la pierre à feu ou à percuter la capsule.
  3. (3) L'animal domestique/La partie d'une bague dans laquelle la pierre est enchâssée.
  4. (4) Certains d'entre vous auront d'ailleurs peut-être remarqué que tous les exemples cités respectaient scrupuleusement cette dernière règle.