Avant de lire cet article, assurez-vous d'avoir lu l'épisode précédent !

Résumé de l'épisode précédent…

Non, c'est bon, on s'en souvient.

— Un lecteur pressé

Ah. Bon, eh bien enchaînons !

Nous étions sur le point de révéler au monde la seconde réponse à notre terrible question « notre libre arbitre ne serait-il qu'un mirage ?  ». Et quoi de mieux pour contrer un démon que de la physique cantique ? Euh, quantique(1) ?

Et tout particulièrement de ce qu'on nomme l'inégalité d'Heisenberg, qui nous apprend la chose suivante : $\Delta x × \Delta p \geq \( \)\frac{\hbar}{2}$.

Fantastique, n'est-ce pas ?

Le décodage est assez simple : \(\Delta x\) symbolise l'incertitude sur la position (c'est-à-dire l'écart entre notre mesure de la position, et la position réelle), \(\Delta p\) symbolise l'incertitude sur la quantité de mouvement (qui est assimilable à l'incertitude sur la vitesse), et \(\hbar\) est une constante(2).

En d'autre termes, le produit des incertitudes sur la position et le mouvement est supérieur à une constante. Ce qui implique que si l'on essaye de réduire l'incertitude sur la position, par exemple (pour connaître plus précisément ladite position), l'incertitude sur la vitesse devra augmenter, afin que le produit des deux soit toujours supérieur à notre constante.

On peut présenter cela sous la forme du « principe d'incertitude » : il est strictement impossible de connaître avec une très grande précision à la fois la vitesse et la position d'une particule. Et paf, dans la tête du démon(3).

Ha ! Mais ça, c'est pour vous, pauvres petits humains ! Moi, je m'en fiche de ça, je n'ai pas les mêmes restrictions que vous…

— Le démon de Laplace

Alors monsieur le démon, je me permets de vous contredire : cette équation ne présente pas une quelconque limitation technique lié à du matériel ou quoi que ce soit de ce genre. Elle indique tout simplement que la position ou la vitesse n'est pas définissable avec une infinie précision : une particule très localisée (et donc avec une position très précise) aura une vitesse très peu identifiable. Et vice-versa, une particule avec une vitesse facilement identifiable ne sera que peu localisée, et sa position sera de fait très approximative(4).

Qu'à cela ne tienne, ces imprécisions d'un ordre inférieur à celui des plus petites particules… Totalement négligeables à l'échelle de l'Univers !

— Le démon de Laplace

Et c'est là qu'on fait intervenir la guest-star de notre épisode : la théorie du chaos !

Sans entrer dans les détails (ce qui mériterait bien un article, tiens…), celle-ci nous indique que dans un univers déterministe défini par un grand nombre de paramètres, ou sur une grande période de temps, une minuscule variation dans un paramètre initial peut provoquer d'immenses variations dans les conséquences. C'est ce qu'on appelle la sensibilité aux conditions initiales, ou bien plus communément « l'effet papillon »(5) !

Dans notre cas, les incertitudes ont beau être minuscules, le système est extrêmement chaotique : un très grand nombre de particules (\(10^{80}\), au dernier recensement), et une très grande période de temps (\(13,7\) milliards d'années pour l'âge de l'Univers, au dernier chronométrage)(6).

Ce qui veut dire que, finalement, même en connaissant la position et la vitesse de toutes les particules de l'Univers à un instant donné, le démon ne peut en aucun cas en déduire la position et la vitesse de ces particules avant ou après cet instant ; les incertitudes inévitables sur ces positions et vitesses rendant totalement imprévisibles les positions et vitesses futures de ces particules, et ce même dans un univers déterministe.

Le démon de Laplace enfin coincé et sous les verrous, notre cher docteur Heisenberg put enfin remercier la théorie du chaos pour son aide dans la traque de ce vicieux adversaire, avant de poursuivre son chemin vers de nouvelles et palpitantes aventures…

Au vu des résultats exécrables des épisodes pilotes sur le public-test, la série « les formidables aventures du docteur Heisenberg » fut annulée, pour ne jamais revoir le jour.


  1. (1) Le précédent épisode se terminait par un très mauvais jeu de mots, il fallait bien être raccord !
  2. (2) Plus précisément, la constante de Planck réduite.
  3. (3) Qui je vous le rappelle, était supposé pouvoir connaître à un instant précis la position et la vitesse de toutes les particules de l'Univers, avec une précision infinie.
  4. (4) C'est un peu compliqué à appréhender, mais c'est lié à la dualité onde-corpuscule : les particules sont aussi en partie des ondes, et donc peuvent, comme celles-ci, ne pas avoir de position.
  5. (5) L'idée étant de dire que selon si un papillon bat des ailes ou non au Brésil (minuscule changement dans les conditions initiales), une tornade peut avoir lieu ou non au Texas (énorme changement dans les conséquences).
  6. (6) Même si on ne sait pas à quel instant le démon a pris ses informations sur la position et la vitesse des particules, les échelles de temps dans l'univers sont très grandes…