Nous sommes en 1847, et le docteur hongrois Ignace Philippe Semmelweis est en charge d'un hopital comprenant deux maternités : l'une des maternités est gérée par des étudiantes sages femmes, l'autre par des étudiants en médecine pratiquant des autopsies avant les accouchements, sans se laver les mains entre les deux opérations.

Le docteur se rend rapidement compte d'un fait étrange : dans la seconde clinique, les jeunes mères décèdent d'infection dans 18 % des cas, tandis que la seconde clinique affiche un taux de décès plus faible de 3%.

Inspiré par un de ces coups de génie qui font avancer l'humanité d'un grand pas, il impose à tout le monde de se laver les mains avant de pratiquer les accouchements. Le taux de décès tombe à 1 % pour les deux maternités, un chiffre exceptionnel pour l'époque (on n'avait alors aucune idée de pourquoi certaines femmes mouraient, et l'on pensait qu'il était naturel pour elles de décéder en donnant la vie).

À cette époque, les causes d'une maladie sont considérées uniques pour chaque patient, et le concept même que l'on puisse éviter une maladie simplement en se lavant les mains semble extrême. Toute la médecine est restée bloquée sur l'idée (stupide) d'Hippocrate, que toutes les maladies proviennent d'un déséquilibre entre les quatre humeurs fondamentales du corps humain, une idée qui aura fait des milliers de morts pendant des milliers d'années…

Mais à l'hôpital, personne n'aime les idées du docteur. Le procédé proposé demande de se laver les mains pendant presque 5 minutes avec du chlore irritant, et même si l'histoire ne le dit pas, on peut imaginer que la remise en question était difficile (« ça ne peut pas être ma faute si toutes ces femmes sont mortes ! », ou « les mains d'un gentleman ne peuvent pas transmettre des maladies »).

Le docteur Semmelweis est donc renvoyé. Pendant 16 ans, il tente de convaincre ses pairs de l'importance de se laver les mains, mais se heurte à un mur…
Il finit par sombrer dans la folie, et est envoyé à l'asile. Il y mourra quatorze jours plus tard d'une septicémie, battu par les gardes. Triste ironie…

L'idée que l'hygiène personnelle puisse empêcher les infections ne sera acceptée que vingt ans après sa mort, lorsque l'on découvrit l'existence des microbes.

Aujourd'hui, cette manie qu'ont les humains de rejeter instinctivement toutes les informations qui contredisent leurs valeurs est encore appelé l'effet Semmelweis.