La langue française, entre autres particularités charmantes, garde intact le souvenir des choses disparues. Alors que, généralement, chaque nouvelle mode vestimentaire chasse la précédente, certaines pièces de nos anciennes garde-robes accèdent à une forme d'immortalité lexicale.
Ainsi, si basques, casaques et guêtres ont définitivement déserté nos placards et font figure de curiosités exotiques ou anachroniques, elles restent bien vivaces dans des expressions comme être pendu aux basques de quelqu'un, tourner casaque ou traîner ses guêtres. On me suggère avec insistance que traîne-savates et moine défroqué pourraient venir compléter avantageusement cette rubrique. Or, savates et froc sont encore en usage, confirmant ainsi qu'ils ne peuvent trouver leur place ici.

En revanche, l'expression sucrer les fraises, délicieusement cruelle, pourrait apparaître comme une séduisante candidate. Sucrer les fraises, c'est, si l'on veut employer des périphrases édulcorées, avoir atteint depuis longtemps l'âge de se retirer des affaires ou de faire valoir ses droits à une retraite amplement méritée. Allusion dans tous les cas au tremblement qui affecte les têtes ou les mains chenues, son origine étymologique est toutefois contestée. Pour certains, fraise(1) désigne dans ce cas la collerette que portaient les nobles de la Renaissance et du Grand Siècle, qui se couvrait donc, occasionnellement, d'un peu de talc (d'où le sucre...) lorsqu'elle était surmontée par la perruque d'un vieillard parkinsonien (bel anachronisme !). À cette enseigne, la locution sucrer les fraises entrerait de plein droit dans cette rubrique consacrée aux expressions qui gardent la trace des modes vestimentaires disparues.
Malheureusement, les sources les mieux autorisées font état d'une étymologie plus triviale et, pour tout dire, plus décevante (mais sans doute plus vraie puisque la réalité a souvent un caractère déceptif). Il s'agirait donc simplement d'une analogie de mouvement, renvoyant plus précisément au tremblement compulsif du vieillard qui ne parvient pas à tenir fermement sa cuillère à dessert.


  1. (1) Pour ceux pour lesquels les terres flamandes ont d'autres attraits que leurs célèbres coffee-shops, on peut admirer dans les musées d'Amsterdam avec quelle précision le portraitiste Anton Van Dyck dessine ces fameuses fraises, qui sont, par ailleurs, puissamment inesthétiques.