On a déjà parlé sur ce site du tableau de Mendeleïev et des prédictions qu'il a permis de faire.
Un bref rappel cependant : à l'époque (1869), les chimistes connaissent moins de la moitié des éléments de l'Univers ; cependant le tableau permet de prévoir sans même les connaître les composants manquants (en calculant leur masse atomique par la règle dite du quadrilatère, en prédisant les atomes avec lesquels la nouvelle espèce se lie, etc.). Un magnifique outil qui rationalise et classifie énormément la chimie.

Mendeleïev propose un nom temporaire à ces éléments jamais rencontrés :

On peut désigner ces éléments inconnus par le nom de l'élément précédant appartenant au même groupe auquel on ajoute le préfixe éka, qui signifie « un » en langue sanscrite.
L'élément occupant IV-4 vient après IV-3 occupé par le silicum, nous appelerons donc ékasilicisum \(Es\) l'élément inconnu.

— Mendeleïev

On prédit ainsi trois ékamétaux : l'éka-aluminum, l'ékabore et l'ékasilicisum.
Quatre ans plus tard, Lecoq de Boisbaudran découvre l'éka-aluminum : conformément à la coutume, il peut donc choisir le nom de l'élément. Il décide de lui attribuer son patronyme latinisé : coq, en latin, se dit gallus : l'élément se nommera donc gallium, \(Ga\). À ce moment, le chimiste ne s'en doute pas mais il ouvre la voie à plus de cent ans de jalousie dans la communauté internationale.

Car en 1879, le scandinave Lars Fredrick Nilson découvre l'ékabore. Pour lui, le gallium est ainsi appelé en honneur de la France (Gaule en latin). Par réaction, il nomme donc son élément le scandium… un nom directement tiré de scandia, Scandinavie en latin.
Et c'est ainsi tout naturellement qu'en 1886, Clemens Winkler, découvrant l'ékasilicium tant attendu, le nomme Germanium (Germania, Allemagne en latin).

On pourrait croire le quiproquo terminé : les trois ékamétaux sont là, fin de la course. Hé non ! Au XXe siècle, les jalousies chauvines sont encore là. Bien des éléments recevront encore un nom de pays, un lieu ou une nationalité : les États envahiront le tableau, marquant de leur nom tous les éléments de l'univers dans un délire mégalomane. Citons – sans exhaustivité – l'américium, le berkelium ou encore le californium, signes pour toujours figés des rivalités du passé.