Vous avez, en lecteur assidu, pris bonne note du trio gagnant de l'hermaphrodisme linguistique français.
Mais il existe encore un mot dont les accords dissonants peuvent faire s'arracher les cheveux à plus d'un.
Il y a certaines gens qui connaissent ces règles et d'autres qui les ignorent. Vous aurez bien compris, étant des gens intelligents, que je veux parler du mot « gens ».

Ce mélange des genres est dû à ce qu'Émile Littré(1) appelle une lutte entre le genre propre de gens qui est le féminin(2), et le genre de l'idée qu'il exprime [hommes, individus] qui est masculin. . Et c'est de cette lutte que découlent les règles suivantes.

La règle de base est qu'on met au féminin les adjectifs ou participes antéposés, et au masculin les postposés : de vieilles gens ; des gens résolus.
Si “gens” est flanqué de deux adjectifs, la règle reste la même. Féminin avant et masculin après : certaines gens sont bien sots ; les vieilles gens aigris.

Passons maintenant aux choses rigolotes. Un adjectif ou un participe placé dans le membre de tête d'une phrase dont « gens » est le sujet sera toujours du genre masculin : déçus par les résultats de l'Équipe de France de football, les bonnes gens s'intéressèrent au rugby(3).
Il en va de même pour les pronoms redondants : Qu'est-ce qu'ils diraient toutes ces vieilles gens s'ils t'entendaient ?

On continue ? Paré de deux épithètes facétieuses et antéposées, « gens » l'est aussi(4). Le genre dépendra de l'épithète directement accolée. Si elle est “bigénitalement homographe” (5), ou plutôt, si elle s'écrit de la même manière dans les deux genres(6), tout sera au masculin. Sinon, on utilisera le féminin : tous ces bons et honnêtes gens ; quelles honnêtes et bonnes gens !
Cette règle est d'ailleurs à appliquer avec un seul adjectif : toutes ces bonnes gens ; quels honnêtes gens.

« De nombreux gens de lettres » est une phrase correcte. « Comment ‽ » s'insurgera le lecteur attentif. Mais la règle de base… Eh bien, elle ne s'applique pas ici. Lorsque « gens » désigne une qualité ou une profession, il est toujours masculin : gens de lettres, gens d'affaires, gens de cinéma.
De la même manière, jeunes gens est toujours masculin, car considéré comme un mot unique : ces joyeux jeunes gens. Et on écrit donc des jeunes gens mais de vieilles gens.

Mais ces gens, combien sont-ils(7) ? Tout dépend s'ils sont accompagnés ou non ! Je m'explique. « Gens » est un nom collectif. Il est donc faux de parler de « deux gens »(8). On peut parler de “mille gens” si tant est que mille ait un caractère indéfini : j'ai vu mille gens sur la place ; j'ai vu un millier de gens sur la place.
« Et s'ils sont accompagnés ? » me demanderez-vous. Eh bien, c'est une très bonne question et, comme dirait un propriétaire admirant sa moquette à l'ouvrier fier de lui, je vous remercie de me l'avoir posée.
Lorsque « gens » est précédé d'une épithète, il est correct de lui adjoindre un nombre : deux vieilles gens, six honnêtes gens(9).

Et voilà, vous êtes maintenant prêts à partager votre culture nouvellement acquise avec tous ces gens sottes(10)(11) !


  1. (1) Dans son dictionnaire éponyme.
  2. (2) Les latinistes en puissance que vous êtes auront trouvé son origine latine. Non ? Bon. Gens, gentis, f. .
  3. (3) Et firent ainsi preuve d'intelligence.
  4. (4) Facétieux. Suivez un peu.
  5. (5) Ce qui ne veut absolument rien dire.
  6. (6) Brave, honnête, etc.
  7. (7) Selon la police, un certain nombre. Selon les organisateurs, un nombre certain.
  8. (8) Sauf quand on s'appelle Pierre Corneille et qu'on vit au XVIIe siècle.
  9. (9) Ce n'est qu'un exemple fictif et non une réalité tangible, soyons sérieux.
  10. (10) Toutes ces gens sots ? Toutes ces gens sottes ? Tous ces gens sots ? Rayez la mention inutile.
  11. (11) J'aime les notes de bas de page.