Son arc délimite l'Aquitaine. Jaillie des Pyrénées, elle descend au nord-est jusqu'à Toulouse où elle cingle cap nord-ouest jusqu'à Bordeaux, puis s'estuarise et change de nom : Gironde(1).
Dès son entrée en France, elle court transparente ; un peu avant Toulouse elle se teint en vert clair. À Toulouse, elle coule verte ou bleue. À Tonneins(2), elle est vert foncé. « Vous ne voyez pas vos pieds. » À Langon, elle est beige. À Bordeaux, elle est marron. Pourquoi ?

Le torrent transparent.

C'est la jeune Garonne : gave dégringolant vers les Comminges, puis torrentueuse rivière en plaine où elle longera le Plateau de Lannemezan, y gagnera huit affluents et galopera vers Toulouse. Fontes des neiges pyrénéennes, averses d'amont(3), fortes pentes d'où dégoulinent les pluies et voici un cours rapide, propre et transparent.
« Macarèl ! L'eau est transparente ! … Et elle est mouliée(4), eh ? »
« Elle était transparente mais votre haleine l'a brouillée. »

L'eau est transparente si la lumière la traverse toute. Une eau peu profonde, et dont les corps en suspens ne perturbent pas les rayons lumineux, est transparente. Une eau profonde ne laisse filtrer que les rayons verts ou bleus, c'est pourquoi la mer est glauque. Une rivière pure et peu profonde, votre vue la traversera s'il n'y a pas trop de vent(5)… Dès lors, que dire ? Aqua simplex, sans goût ni couleur ! Plutôt que bâiller randonnons à contre-courant. Vers la source.

On croyait naguère que le fleuve sourdait à 1658 m au Goueil de Jouéou, Val d'Aran. Or déjà en 1787 selon le géologue Ramond de Carbonnières ce n'était qu'une résurgence : les eaux naissaient plus haut dans un gouffre proche, le Trou du Toro, en Aragon.

Le spéléologue Norbert Casteret voue trois ans de sa vie (1928 à 1930) à traquer, ravin par ravin, la source de Garonne. Enfin sur le point d'y parvenir il joue sa peau et achemine en Guerre d'Espagne un convoi de mulets chargés de fluorescine. Il ne croise aucun belligérant, atteint le Trou du Toro et y déverse ses barils de poudre.

Le lendemain, la fausse source ou résurgence de la Garonne restitua le colorant. Pendant 27 h les eaux violemment colorées en vert se propagèrent dans le Val d'Aran et jusqu'en France sur plus de 50km, causant un grand émoi parmi les populations et prouvant péremptoirement que la Garonne a sa vraie source dans les Monts Maudits, sur le versant Sud des Pyrénées, et qu'elle passe sous la chaîne par une voie souterraine restée jusqu'alors mystérieuse.

— N. Casteret, L'Illustration, 28/11/1931

N. Casteret découvre la source de la Garonne

Il l'avait trouvée. À 2074 mètres d'altitude, où s'engouffrent les glaciers de l'Aneto : le Forau de Aigualluts (Trou du Toro).

Trou du Toro

De ce berceau de Titan surgira Garonne, rivière aux pierres(6). Navigation fluviale dès Toulouse ; navigation maritime depuis l'estuaire jusqu'à Bordeaux. Bassin : 55 846 km². Sixième fleuve de France, mais quatrième débit. Charriant ses 630m³ d'eau par seconde.

Ci-dessous la bèla gojata. Elle paraît grise, ça vient du lit de graviers !
La Garonne à Bossost, Val d'Aran.
Laissons-la cavaler ! Rendez-vous en Languedoc, dans la plaine de Toulouse.


  1. (1) Au confluent de la Dordogne. L'estuaire s'élargira sur 75 km.
  2. (2) En Guyenne, au confluent de la Garonne et du Lot.
  3. (3) Pour la flotte, Normands ou Irlandais ne devraient pas être trop dépaysés dans les Pyrénées centrales.
  4. (4) Accent ariégeois !
  5. (5) Trop de vent fronçant la surface, les rayons lumineux dévient (réfringence). La vue en est faussée.
  6. (6) gar : pierre (basque : arria) ; et umma : cours d'eau

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