Charles de Charolais devient en 1467 le maître de la Maison de Bourgogne. Il manifeste assez rapidement un tempérament à la mesure (ou plutôt à la démesure) de la puissance et de la richesse qui sont les siennes. Et comme une bonne carte vaut mieux que de longs discours, voici un aperçu de son apanage :

http : //fr. wikipedia. org/wiki/Fichier : Karte_Haus_Burgund_4_FR. png

Quelques qualificatifs permettront d'évoquer maintenant les contours saillants de sa forte personnalité.

  • Vindicatif : en 1435, pour avoir rompu son alliance avec l'Angleterre et signé la paix avec Charles VII, alors roi de France, Philippe Le Bon (père de Charles de Bourgogne), avait reçu, en guise de contrepartie, la Picardie ainsi que plusieurs villes de la Somme, qui étaient venues s'ajouter au territoire déjà considérable du Duché de Bourgogne. Une clause du traité d'Arras, qui officialisait cette cession, stipulait pourtant que le roi de France avait la possibilité de racheter ce territoire au prix de 400 000 écus d'or.
    En 1463, Louis XI, (devenu roi en 1461, à la mort de son père Charles VII) parvient contre toute attente à trouver cette somme et à réunir au royaume de France les territoires perdus. À dater de ce jour, Charles de Bourgogne (qui n'est alors encore que comte de Charolais (1)) considérera Louis XI comme son ennemi personnel et tentera de l'affaiblir ou de l'anéantir par tous les moyens. La réciproque est vraie : entre les deux hommes, rien d'autre qu'une succession de conflits ouverts ou larvés et de trêves fragiles qui ne semblent être signées que pour pouvoir être rompues aussitôt après. À l'occasion de l'une de ses nombreuses campagnes militaires dirigées contre le roi de France, on put voir apposée sur la bannière noire et violette de l'armée du Duc de Bourgogne cette inscription au laconisme martial Vengeance, vengeance !

  • Rebelle : Charles de Bourgogne n'est pas seul à haïr Louis XI, qui entend exercer le pouvoir de manière plus centralisée sans solliciter systématiquement le concours des grands vassaux de France. D'où l'idée chez certains princes de sang de fomenter une rébellion, appelée Ligue du Bien Public, visant à installer sur le trône le duc de Berry (frère du roi), jugé plus facilement manipulable. Charles de Bourgogne prend la tête de cette conspiration, lève une armée (25 000 hommes) et s'apprête à en découdre avec Louis XI. Un choc frontal avec l'armée du roi (bataille de Montlhéry en 1465) et un siège de Paris plus tard, les deux parties, épuisées, signent une trêve et Louis XI est obligé de négocier et d'accorder des concessions aux ligueurs. Charles de Bourgogne, qui obtient alors du roi la restitution de la Picardie et des villes de la Somme, est le seul à tirer son épingle du jeu, les autres seigneurs factieux devant se contenter de miettes dérisoires.
  • Féroce : au vu de ce qui précède, on aurait tort cependant de prêter en imagination au Duc de Bourgogne un petit côté bad boy vaguement séduisant. À partir d'un certain point, son naturel égocentrique et violent semble au contraire avoir balayé chez lui toute forme d'empathie. Ainsi, alors que la petit ville de Nesle venait de capituler, l'armée de Bourgogne, en guise de représailles, massacra jusque dans une église ceux qui l'avaient défendue. Entrant dans la nef sanglante et jonchée de cadavres, c'est avec ces mots que le Duc félicita ses hommes : Par Saint Georges, mes enfants, vous avez fait une jolie boucherie !
  • Arrogant : alors que ses sujets flamands avaient eu l'audace de se plaindre un jour au Duc de l'augmentation des taxes qu'il leur infligeait (lever une armée de plusieurs dizaines de milliers d'hommes, de surcroît composée en partie de mercenaires, vaut son prix), celui-ci leur fit tenir cette réponse lapidaire : Je préfère que vous me haïssiez plutôt que vous me méprisiez. Voilà qui avait au moins le mérite de la clarté.
  • Mégalomane : à partir d'un certain moment (1474 pour être précis), rien ne va plus : le Duc s'imagine qu'un destin à la César ou à la Hannibal l'attend et s'engage dans une ambitieuse politique de conquête. Il rêve de reconstituer l'ancien royaume de Lotharingie, ce qui signifie concrètement qu'aux territoires qu'il possède déjà, il souhaite adjoindre, entre autres, l'Alsace, la Lorraine, ainsi qu'une partie de l'Allemagne. Il prend donc la direction de l'Est à la tête d'une puissante armée (22 000 soldats), qui, de sièges manqués en défaites, ne comptera plus en 1477 que quelque 3 000 hommes, malades et exténués pour la plupart. Le Duc de Bourgogne livre alors à Nancy sa dernière bataille contre une coalition de Lorrains, d'Alsaciens, de Suisses et d'Allemands (que Louis XI, de loin, avait su savamment fédérer et financer).
  • Tragique(2) : sa mort est terrible. À l'issue de la bataille de Nancy, ses hommes le cherchent pendant deux jours entiers. Il est retrouvé nu, gisant sur un étang gelé, le visage fendu en deux par une hallebarde suisse et dévoré par les loups. Seuls ses cicatrices, ses dents manquantes et ses ongles, que, par une étrange fantaisie, il gardait longs comme des griffes, permettent de l'identifier avec certitude. Par un singulier revers de fortune, cette misérable dépouille(3) était à cette heure tout ce qui restait de celui qui avait été, pendant dix ans, le prince le plus puissant d'Occident.

  1. (1) Par souci de simplicité, celui qui n'était alors que comte de Charolais sera toujours appelé ici Charles de Bourgogne, même si, à strictement parler, il ne portera ce titre qu'à partir de 1467.
  2. (2) Dans Les Carnets de Malte Laurids Brigge, R.M.Rilke consacre quelques très belles pages au destin tourmenté du Duc de Bourgogne. En l'imaginant intérieurement travaillé par un secret désir de mort et incapable de dominer l'ardente fureur de son sang, il le rend plus fascinant qu'il ne le fut sans doute jamais.
  3. (3) De ce qu'il meurt comme un animal, il ne faudrait pourtant pas inférer que le Duc vécut en bête brute : en effet, il composait de la musique, jouait aux échecs, était féru d'histoire et entretenait à Bruges une Cour aussi fastueuse que policée.