Une histoire sans paroles…

D'accord, vous êtes sourd, mais pas aveugle : je vous apprends à dire « bonjour ! »

Quand un enfant naît sourd, il n'est pas d'emblée un Sourd !
Vous ne comprenez pas ce que j'entends par là ?
Vous êtes entendant, mais sourdingue, ma parole !

La surdité est d'abord un handicap physique, un déficit total ou partiel de l'audition.
Mais être un Sourd, avec une majuscule, signifie que vous appartenez à la grande communauté des Sourds, vous avez même un fort sentiment d'appartenance, car vous n'êtes plus seul et vous avez enfin la fierté de ce que vous êtes, de votre histoire et de votre culture.
D'ailleurs, vous n'êtes pas forcément sourd, peut-être n'êtes-vous que mal-entendant… ou même entendant mais reconnu et accepté dans la communauté des Sourds !
L'enfant sourd sera un Sourd épanoui à condition de rencontrer d'autres Sourds et d'apprendre la langue des signes, en France la LSF !

Le bébé Sourd doit apprendre à signer, en même temps que ses parents si ceux-ci sont entendants…

Le drame d'un enfant sourd, c'est de n'être entouré que d'entendants !
L'isolement a été le handicap majeur des sourds dans la préhistoire des Sourds.
Les Sourds ne sont pas « muets », ils ont beaucoup à nous dire !
Et les entendants ne savent pas toujours les écouter.

Pendant longtemps(1), un enfant sourd était un handicapé, considéré souvent comme un demeuré… à vie. Les efforts pour communiquer avec lui étant réduits à une gestuelle simpliste, on n'imaginait même pas que sa vie pût être aussi riche que celle d'un autre.
Ainsi, seuls les enfants sourds nés dans des familles aisées et attentives pouvaient espérer une éducation, mais encore dans l'isolement le plus souvent.

Ne pas confondre comprendre et entendre !

Réduire à tout prix le handicap ? Vivre sa surdité de façon assumée ?
En France, c'est un dialogue de sourds !

Les entendants doivent-ils décider pour les Sourds ?

Aujourd'hui comme hier, les oralistes essaient de résoudre le handicap en apprenant aux enfants sourds à lire sur les lèvres et à parler… D'autant plus qu'on peut parfois atténuer la surdité, par exemple avec un implant cochléaire.

L'implant cochléaire, un progrès en question pourtant.

Quand un Sourd dispose à la fois de la faculté de lire sur les lèvres et s'exprimer oralement d'une part et par la langue des signes d'autre part, il choisira bien sûr la première voie pour communiquer avec des entendants, mais n'hésitera pas une seconde pour communiquer avec d'autres Sourds : la fluidité de la communication entre Sourds en LSF est comparable à une conversation ordinaire – peut-être même plus rapide ! – alors que la première voie reste laborieuse.
Parce que la langue des signes a été interdite en France pendant plus d'un siècle, les vieux sourds signent avec gêne devant des entendants, mais les jeunes n'ont plus honte de signer !

Les bavardes…

L'écrit, l'anglais en particulier pour des relations internationales, est bien sûr un moyen de communication efficace, mais la spontanéité est enfin possible en LSF grâce à l'internet et les webcams…

Communiquer par écrit, mais aussi en direct !

La LSF est une vraie langue, riche, complexe et vivante(2) et elle ouvre l'accès à toute la culture Sourde. Imposer l'oralité aux dépens de l'apprentissage de la LSF, n'est-ce pas vouloir à tout prix nier le handicap et handicaper le sourd ? Le monde Sourd n'est pas connu de la plupart des entendants, mais est-ce une raison pour l'ignorer ? Le choix devrait être possible comme dans d'autres pays. Le bilinguisme semble le meilleur bagage pour un enfant Sourd(3).

La langue des signes est-elle universelle ? Ce serait l'espéranto tant cherché ?
Universelle ? À vrai dire non, mais deux sourds étrangers se comprendront plus vite que deux entendants étrangers ! À moins qu'ils n'utilisent tout simplement l'anglais écrit !

Il y a autant de langues des signes que de langues parlées…

Il n'existe pas de langue des signes universelle, contrairement à une erreur fréquente.
Certains signes de la LSF sont issus du mime(4), comme dormir, très explicite. Il existe aussi des signes arbitraires, comme l'alphabet dactylologique(5). Certains signes sont inspirés de la langue française, comme V pour vert. Au fur et à mesure que des Sourds abordent de nouveaux sujets d'étude, de recherche… de nouveaux signes sont inventés pour désigner les nouveaux objets ou concepts, comme la langue parlée invente de nouveaux mots.

La grammaire, la syntaxe ? Une autre façon de s'exprimer !
Il ne s'agit pas de français signé – ou sauf peut-être les traductions de discours comme à la télé – Non ! C'est une vraie langue !
Signer(6) est une façon de communiquer qui a sa propre grammaire, sa syntaxe très différente de celle du français :

La syntaxe en LSF

Comme sur une scène, on plante le décor : on signe le lieu, le temps est marqué par une ligne du temps (perpendiculaire au locuteur : derrière son épaule le passé, au niveau de son corps le présent et devant lui le futur), puis les personnages sont présentés et enfin l'action(7). La direction du signe, par exemple « téléphone », indiquera si « je te téléphone » ou si « tu me téléphones ». Mais c'est avec l'expression du visage qu'on exprimera s'il s'agit d'une question par exemple ou l'intensité…

L'implication de tout le corps est nécessaire à la communication !

Communiquer en LSF suppose que les deux interlocuteurs soient face à face et attentifs(8)

Organiser un cours suppose que chacun voit parfaitement

Grâce à la LSF, les Sourds ont en commun l'Histoire Sourde, la Culture Sourde…
et vous invitent à mieux les connaître !

Du théâtre !

Comme on découvre la culture d'un pays étranger, d'une autre civilisation, pourquoi ne pas aller à la rencontre du peuple Sourd ?
Vous pouvez visiter Le Pays des sourds, un film de Nicolas Philibert,
lire Le Cri de la mouette, d'Emmanuelle Laborit (qui découvre la LSF à sept ans), voir la pièce Les Enfants du Silence, Molière de la Révélation théâtrale féminine pour Emmanuelle Laborit en 1993(9),
lire encore Moi, Armand né sourd et muet, d'Armand Pelletier et Yves Delaporte.

Il reste à favoriser l'apprentissage de la LSF comme toute langue étrangère !

Pour terminer, « au revoir » !


  1. (1) Aristote pensait ainsi que quelqu'un qui ne parle pas ne peut pas penser.
  2. (2) Croire que l'italien ou l'espagnol sont des langues faciles sous prétexte qu'un français comprend facilement certains mots est assez courant… la lisibilité de certains signes de la LSF ne doit pas vous porter à croire qu'on n'y exprime que des paroles élémentaires.
  3. (3) Il existe des centaines de langues des signes dans le monde, dont quelques-unes ont obtenu une reconnaissance légale, tandis que d'autres n'ont aucun statut officiel. Hélas, encore aujourd'hui, faute d'information, de nombreuses personnes sourdes ou parents de sourds ne connaissent pas l'existence des langues des signes et considèrent avant tout la surdité comme un handicap.
  4. (4) Les signes iconiques.
  5. (5) Il ne sert qu'à épeler certains noms nouveaux. Chacun reçoit ensuite un signe personnel, un surnom en somme.
  6. (6) Les signes standards sont décrits par : la configuration de la ou des mains, l'orientation du signe, son emplacement, le mouvement et la mimique faciale, chaque paramètre correspondant à une liste finie d'éléments.
  7. (7) L'espace de signation (là ou la personne signe) peut aussi servir à créer des repères, des marqueurs auxquels on se réfère tout au long du discours (par exemple, un repère pour l'école, un pour la maison, un autre pour un personnage). Il suffit alors de pointer du doigt ou du regard l'endroit pour « l'activer » et y faire référence dans le discours.
  8. (8) Pendant la communication en langue des signes, les interlocuteurs se regardent dans les yeux. C'est donc la vision périphérique qui permet de voir tous les signes. Ceci pourrait expliquer pourquoi les signes avec un mouvement compliqué se signent proches du visage, et les signes plus simples peuvent s'éloigner du corps.
  9. (9) Emmanuelle Laborit est aussi directrice de l'IVT, International Visual Théâtre.