Nicolas Bourbaki est un mathématicien assez particulier. Outre le fait que les mathématiciens semblent tous, de près ou de loin, assez particuliers, celui-ci est un particulier parmi les particuliers : en effet, il n'existe pas. Alors, fin de l'article ? Et non ! L'histoire ne s'arrête pas là !

Pour ainsi dire, elle commence ici. En 1935, un groupe de 9 mathématiciens, dont 8 sortis de l'École Normale Supérieure de Paris(1) décident de rédiger un immense traité de mathématiques, ayant pour but de clarifier les mathématiques, d'y apporter une rigueur et une structure cohérente.
Ainsi, dans l'immense œuvre du groupe, publiée sous le nom Éléments de mathématique, composé actuellement de 10 livres, chaque résultat est démontré de façon très rigoureuse. Vous remarquerez d'ailleurs l'emploi du singulier pour « Mathématique », preuve d'une volonté d'unification.
Enfin, ils décident de nommer leur groupe Bourbaki, en souvenir d'une vieille blague qu'avait faite un élève à l'ENS(2), d'où le nom de l'auteur polycéphale sujet de cet article.

Autre particularité de Nicolas Bourbaki : il est immortel. Allons bon, me direz-vous, il n'existe pas et est immortel ! En effet, une des principales règles du groupe est une limite d'âge fixée à 50 ans, ce qui permet un renouvellement constant des générations. Ainsi, plus de 50 mathématiciens ont été et sont membres de l'association Bourbaki, et ce, depuis 1935, année de fondation du groupe, à Besse-en-Chandesse (ville qui s'appelle d'ailleurs Besse-et-Sainte-Anastaise aujourd'hui, si vous passez dans le coin, vous pourrez toujours étaler votre culture fraîchement acquise).

La parution de traités se fait de plus en plus rare, le dernier datant de 1998 et celui d'avant de 1983, cependant, chaque année sont organisés des séminaires Bourbaki, signes de vie du groupe dont les noms des membres actuels sont tenus secrets(3).

Aujourd'hui, l'héritage de Bourbaki est très visible, on lui doit les symboles \(\forall\) (« quel que soit »), \(\exists\) (« il existe »), \(\varnothing\) (ensemble vide), les symboles de réciprocité, d'implication et d'équivalence, les notions de partitions, de surjection, injection, bijection, etc.
Enfin, le plus important, c'est principalement un style, une rigueur, qu'a apporté le groupe et ses ouvrages, en particulier dans les années 1960-1970, période à laquelle leur influence a atteint son apogée.


  1. (1) André Weil (promotion 1922), Jean Delsarte (promotion 1922), Henri Cartan (promotion 1923), Jean Coulomb (promotion 1923), René de Possel (promotion 1923), Jean Dieudonné (promotion 1924), Charles Ehresmann (promotion 1924), Claude Chevalley (promotion 1926), et Szolem Mandelbrojt (qui n'a pas fait ses études à l'ENS de Paris, et qui est d'ailleurs l'oncle de Benoît Mandelbrot, pour ceux qui connaissent. Ceux qui ne connaissent pas auront peut-être un article là-dessus).
  2. (2) La blague en question avait été faite par Raoul Husson, en 1923 : il s'était déguisé en mathématicien barbu et avait donné une fausse conférence totalement incompréhensible pour démontrer un certain « théorème de Bourbaki ».
  3. (3) J'ai pourtant tout essayé : corruption, chantage, séduction… rien n'y a fait.