Quand la neige des sucres tombe au petit matin à l'approche du printemps, épaisse et mouilleuse, c'est signe qu'il est temps de partir sur le chemin des cabanes. C'est le long de cette piste qui serpente entre les grands érables que nous allons suivre le sucrier (acériculteur(1)) dans sa tournée des érables.

Méthodiquement, cérémonieusement, le maître sucrier rend visite à chaque arbre, pour recueillir l'eau d'érable coulée dans les seaux pendus aux troncs. Tirant un traîneau surmonté d'un profond tonneau, il effraye au passage quelques oiseaux de sucre, des bruants des neiges qui nichent par centaines aux pieds des érables en attendant la migration prochaine. Ces petits oiseaux semblables à des moineaux blancs s'envolent par petits groupes, comme un nuage de neige virevoltante et piaillante, pour aller se poser quelques mètres plus loin.
Érables argentés, érables rouges, régals pour les yeux mais dont la sève est moins sucrée, sont là surtout pour réjouir les regards. C'est l'érable à sucre, le dénommé coulant, qui nous intéresse.

Pendant le temps des sucres, qui s'étend au Québec de la mi-mars à la fin du mois d'avril, les sucriers ont procédé à l'installation d'un système de récolte sur chaque érable. Entaillé à mi-hauteur du tronc, pourvu d'un bec et d'un seau ou d'une tubulure de recueil, l'arbre est fin prêt pour affronter les alternances de gel et de dégel qui assureront une bonne montée de la sève.

Quand le tonneau est rempli, le sucrier retourne s'enfermer dans la cabane à sucre pour procéder à la transformation de la sève en ce délicieux sirop ambré, à la saveur incomparable… Allez, rien que pour vous, rien que pour cette fois, il consent à nous ouvrir la porte de son mystérieux laboratoire, la sucrerie de l'érablière.
Approchons-nous du la grande cuve qui trône en son centre, la bouilleuse. Cet énorme évaporateur sert à faire bouillir la sève d'érable pour réduire sa teneur en eau et concentrer le sucre qu'elle renferme. Il faut environ 40 litres de sève pour obtenir un litre de sirop pur. Le sirop d'érable est considéré comme parfait lorsqu'il ne contient plus que 34 % d'eau (au départ, la sève en contient en moyenne 98 %).
Tandis que le sirop épaissi chauffe lentement, le maître sucrier en profite pour nous raconter la légende du sirop :

Il y a fort longtemps, une jeune indienne du Canada avait mis son ragoût à mijoter non loin d'un érable. Mais elle ne s'aperçut pas tout de suite qu'une branche cassée de l'arbre passait au-dessus de sa marmite. Pendant de longues heures, la sève de l'érable s'égoutta dans la préparation qui cuisait doucement. Quand la squaw revint, elle eut l'agréable surprise de goûter au tout premier ragoût au sirop d'érable…

Au cours de la cuisson, les plus impatients pourront toujours faire trempette dans le sirop léger (tremper dans la sève épaisse et bouillante des morceaux de pain ou une spatule de bois, appelée la palette). Dans les recoins de la cabane à sucre, les gourmets s'affairent à préparer d'autres délices comme la gelée d'érable et le beurre d'érable, sans oublier le caribou de cabane, un alcool constitué de vin rouge et de whisky mêlé de sève chaude.

Une fois le sirop prêt, il est temps pour les gourmands d'aller aux sucres
Le signal d'ouverture de la partie de sucre, fête traditionnelle marquant la fin de la fabrication du sirop d'érable, est donné par le maître sucrier : d'une main sûre, il verse de longues coulées de sirop brûlant directement sur la neige vierge. C'est la tire d'érable, un ruban de sucre que les participants sont invités à enrouler rapidement au bout d'un bâtonnet pour se constituer un suçon de sirop cristallisé.

Tout au long de la saison des sucres, on peut déguster diverses sucreries à base de sirop d'érable :
les trempines, tartines trempées dans le sirop encore chaud, les grand-pères dans le sirop, délicieux beignets formés d'une cuillerée de pâte pochée dans du sirop d'érable bouillant ; les enfants quant à eux ont droit aux traditionnelles pignoches, ces cornets de gaufre remplis de sucre d'érable.
Et pour les retardataires, reste le sucre de sève, presque noir, au fort goût végétal, produit à partir de l'eau de sève de la fin de la coulée des érables.

Alors, envie de vous sucrer le bec à la prochaine saison ?


  1. (1) L'érable fait partie de la famille des acéracées, mot provenant du latin acer, qui désigne l'érable.