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Rares sont les écritures qui entrent uniquement dans une des deux familles décrites précédemment. Par exemple, on a vu que le français a une écriture phonologique puisque chaque lettre représente arbitrairement un son. Mais elle utilise tout de même des logogrammes comme l'esperluette & et l'arobase @. (1)

L'écriture du japonais est un cas exemplaire d'écriture mixte : il utilise des logogrammes issus du chinois, les kanji, deux syllabaires, hiragana et katakana, et parfois l'alphabet latin rōmaji dans des cas plus restreints !

Nous n'avons pas connaissance d'une écriture japonaise avant l'importation des sinogrammes chinois, renommés kanjis, à partir du IVe siècle de notre ère. Mais ces caractères, au départ, n'étaient utilisés par les élites que pour lire et écrire du chinois classique, avant d'être réappropriés plus tard pour le japonais.

Les premières écritures de la langue japonaise orale ont eu lieu vers le VIIIe siècle avec le développement des man'yõgana. Les man'yõgana sont dérivés des kanjis, desquels ils n'ont pris que la valeur phonétique, sans se soucier de leur signification. Des syllabaires de man'yõgana ont ainsi été constitués.

Les hiraganas ont été obtenus en simplifiant par l'écriture cursive des man'yõgana, donc en arrondissant l'écriture. Ils servent à écrire les morphèmes grammaticaux, c'est-à-dire des petits éléments insérés pour marquer le contexte grammatical (marques de conjugaison, de genre, de nombre, etc.), et quelques mots japonais particuliers.

Les katakana sont des extraits de man'yõgana, c'est-à-dire une partie seulement des dessins de ces caractères. Ils sont beaucoup plus anguleux. Ils servent à la transcription de termes étrangers (sauf chinois puisqu'il y a les kanjis), à l'écriture des onomatopées, ou encore pour mettre en valeur certains passages, comme on le ferait avec l'italique chez nous.

Écrits japonais

Les quelques 2 136 kanjis officiels servent maintenant à écrire les racines des mots : ils portent donc le sens. On retrouvera par exemple souvent des associations kanji-hiragana pour écrire un mot et l'accorder.

Chaque kanji possède plusieurs sens et plusieurs lectures, et le contexte permet alors de différencier lesquels utiliser. Parfois, des caractères katakana ou hiragana sont ajoutés aux caractères pour en spécifier la prononciation. C'est souvent le cas pour l'écriture des prénoms par exemple. On appelle ces caractères syllabiques furigana.

L'alphabet latin rõmaji sert généralement pour des termes techniques, des mots occidentaux, des sigles comme CD et DVD, ou encore pour l'algèbre.

Ici, on le voit, la construction de l'écriture de la langue s'est faite un peu par hasard, en empruntant un système existant à proximité puis par adaptation à la langue orale locale. Le développement des kanas (hiragana et katakana) montre l'inadéquation entre le système chinois et la langue japonaise. En effet, comme le japonais n'a pas d'accents de prononciation comme le chinois, les homophonies de kanjis étaient très fréquentes. Il a alors fallu trouver un moyen de résoudre les problèmes phonologiques, ce qui a poussé à la création des kanas.

On peut penser que si son voisin avait possédé un système syllabique, ou au moins phonologique, alors le Japon aurait un système d'écriture nettement plus simple aujourd'hui, car plus adapté à sa langue. Mais tel n'est pas le cas, et le Japon a aujourd'hui une langue très complexe à apprendre, mais qui permet exploiter la concision sémantique procurée par les kanjis.

Voilà qui termine cet article sur le système d'écriture particulier du japonais, et (peut-être)(2) plus globalement cette série sur les systèmes d'écritures.


  1. (1) Si on y réfléchit, les chiffres arabes sont aussi des logogrammes.
  2. (2) Qui sait si après avoir parlé des sytèmes existants ou ayant existés, je n'irai pas voir ceux qui n'existent pas encore ?