Nous sommes le 22 décembre 1938. La conservatrice sud-africaine du musée de East London(1), Marjorie Courtenay-Latimer, reçoit un coup de téléphone. Le capitaine d'un bateau de pêcheur, Hendrik Goosen, vient de remonter dans ses filets un poisson tout à fait inhabituel, dans l'embouchure de la Chalumna River.

Courtenay-Latimer emporta la prise à East London, mais, en l'absence de tout renseignement dans les livres qu'elle consulta, elle choisit de le faire naturaliser pour le montrer à un véritable spécialiste de l'ichtyologie(2).

Marjorie Courtenay-Latimer le montre donc à une connaissance, l'ichtyologue James Leonard Brierley-Smith. C'est la stupéfaction la plus totale : il s'agit d'un cœlacanthe, espèce jusqu'alors uniquement connue sous forme fossile. L'espèce est baptisée Latimeria chalumnæ, en l'honneur de Courtenay-Latimer et de son lieu de découverte. Il est présenté en 1939 à la presse, mais il faudra attendre quatorze années avant qu'un deuxième cœlacanthe puisse être à nouveau pêché. Et, comble de la chose, une nouvelle espèce de cœlacanthe fut découverte en 1997, Latimeria menadœnsis, au large de l'île de Manado Tua.

Un spécimen naturalisé de <em>Latimeria chalumnæ</em>.
Un spécimen naturalisé de Latimeria chalumnæ.

Le cœlacanthe est donc exceptionnel parce qu'il a très peu évolué par rapport à ses ancêtres, mis à part quelques détails anatomiques et une taille deux à trois fois plus importantes par rapport aux antiques espèces de cœlacanthes. Néanmoins, on ne connaît aucune espèce ancienne de cœlacanthe proche à proprement parler ; en effet, les espèces actuelles vivent dans les grands fonds au contraire de leurs aînés(3).

Parmi les caractéristiques notables des cœlacanthes, on notera qu'ils sont ovovivipares(4), qu'assez peu d'alevins sont produits (en général, quatre à six) et qu'ils disposent d'un organe électro-récepteur (nommé rostre). On les soupçonne également d'être capables d'écholocation.

Cependant, les véritables particularités du cœlacanthe viennent de caractéristiques aujourd'hui disparues : il dispose d'une poche de gaz aux parois épaisses (généralement vu comme une forme transitionnelle entre poumons et branchies), de nageoires dont la forme et le mouvement sont anachroniques, et d'écailles semblables aux écailles cosmoïdes, forme la plus primitive des écailles (et, à ce titre, ne se rencontrant que sur des espèces fossiles).

Malheureusement pour nos amis cœlacanthes, leur particularité a un prix : elle attire les collectionneurs, et parallèlement à des modifications de leur milieu naturel, participe à leur disparition. L'UICN classe les deux espèces, Latimeria chalumnæ et Latimeria menadœnsis, en danger critique d'extinction.


  1. (1) Non, il n'y a aucune erreur : il existe bel et bien une ville de ce nom en Afrique du Sud. Elle est d'ailleurs actuellement en termes de population la sixième ville sud-africaine.
  2. (2) Derrière ce nom barbare se cache en vérité la branche des sciences naturelles étudiant les poissons osseux (Osteichthyes), les poissons cartilagineux (Chondrichthyes) et les agnathes (les fameuses lamproies et myxines, bien qu'elles ne soient plus à proprement considérées comme des poissons).
  3. (3) Il faut savoir toutefois que certains paléontologistes penchent pour une idée différente ; étant donné que les grands fonds sont bien évidemment peu propices à la découverte de fossiles, il se pourrait qu'il existe des cœlacanthes « des profondeurs » datant du Crétacé.
  4. (4) Cela signifie que les cœlacanthes produisent des œufs mais (et c'est là la subtilité) qu'ils incubent puis éclosent dans le ventre de la femelle.