C'est une sensation que l'on a tous déjà expérimentée : après avoir répété(1) plusieurs fois le même mot, il devient soudain vide de sens, phonétiquement inesthétique et mentalement incompréhensible. La satiété sémantique arrive brusquement, quand votre langue trébuche sur chaque syllabe, le mot n'étant plus qu'un assemblage hétéroclite de lettres dénué de toute signification. Il faut alors quelques secondes – parfois même quelques minutes – pour désinhiber notre cerveau et lui faire admettre à nouveau que « placard » n'est pas un néologisme !

À lui seul, le terme de satiété sémantique explique parfaitement le concept : on n'a littéralement « plus faim du sens », notre cerveau est rassasié du contenu. Mais le phénomène porte d'autres noms – citons inhibition réactive, phase réfractrice, saut de sens, inhibition corticale, rassasiement verbal… –, preuves de son intérêt dans les neurosciences cognitives.

Car si les effets sont connus, les causes restent encore floues. L'explication la plus citée actuellement est celle de la « réponse décrémentée ».
Prenons un exemple : on vous demande de dessiner des pages et des pages de lettre A. Vous démarrez joyeusement, puis après deux lignes vous commencez à vous lasser. À la fin de la première page, votre « réponse cognitive » devient presque nulle, et le A ne correspond plus à « l'entité qui représente le symbole A », mais à « deux traits plus une barre au milieu ». En revanche, si l'instructeur vient redonner du sens à ce travail (par exemple, en demandant de passer à la lettre B), toute fatigue mentale disparaît !
Le raisonnement est le même pour la satiété sémantique : lassé, le cerveau accorde moins d'importance au mot pour finalement l'oublier temporairement.

Les personnes qui ont tendance à bégayer à l'oral pourront utiliser ce phénomène pour améliorer leur discours : en répétant inlassablement le texte juste avant d'entrer en scène, il perd toutes les émotions négatives qui lui étaient associé et devient plus facilement prononçable.


  1. (1) La répétition ne doit pas forcément être continue (« placard, placard, placard »), elle peut être légèrement espacée dans la phrase (« Un placard est une pièce de mobilier. Le placard est utile pour ranger des affaires. Mon placard est rempli, je vais acheter un autre placard pour remplacer ce placard. »)