Quelle pourrait être la plus belle démonstration mathématique ? Les critères sont les suivants :

  • Il faut qu'elle soit très courte, on doit pouvoir l'exposer à l'oral en moins de 5 minutes.
  • Il faut qu'elle soit très simple, elle doit pouvoir être comprise par n'importe qui de bonne volonté et sachant compter.
  • Il faut qu'elle en jette ! Elle doit être ludique, attrayante.

L'idée de départ vient des besoins d'une conférence dont le sujet importe peu mais qui nécessitait à un point de faire sentir à l'audience l'intérêt des mathématiques. Comme l'entrée était libre, il fallait trouver un exemple qui soit accessible à tous. Un assez bon candidat pourrait être la démonstration de Gauss concernant les séries arithmétiques(1).

\( \sum_{i=1}^ni=\frac{n(n+1)}{2} \)

En termes humains, la somme des entiers successifs se calcule immédiatement comme la moitié du produit du plus grand terme et de son successeur. Plus simplement : \(1+2+3+...+20 = \frac{20\times (20+1)}{2} = 210\). Facile ! Maintenant vient la démonstration sous la forme d'une histoire.

Immaginez-vous à la fin du XVIIIe, un professeur un peu débordé demande à ses jeunes élèves de faire des additions pour les occuper. Il leur demande le résultat de la somme de 1+2+3+… +100. Chaque élève se lance alors frénétiquement dans le calcul afin d'être le premier à donner la somme juste et de recevoir tous les honneurs d'un professeur d'une autre époque qui rayonne encore de l'aura du prestige et de la connaissance. Certains commencent par le plus facile en sommant les petits nombres d'abord, d'autres attaquent directement la difficulté en descendant à partir de 100 mais tous grattent avec application leur papier vélin. Tous ? Non, car le jeune irréductible Gauss, que le calcul complet et fastidieux ne fait pas rêver, a l'idée de poser l'addition de manière bien plus originale. Il pose d'abord la somme complète dans le sens croissant de gauche à droite puis, juste en dessous, la somme dans le sens décroissant (le 100 en dessous du 1, le 99 en dessous du 2, etc.). Il se rend compte alors de la chose suivante : la somme de chaque colonne est constante(2) !

— Moroh

Vous saisissez, chacun des termes de la somme fait immanquablement 101. L'ensemble forme donc la somme de 100 termes de valeurs 101. C'est une simple multiplication ! \(100\times 101=10100\). Oui mais sans oublier que la somme demandée est écrite deux fois (à l'endroit et à l'envers). Il faut donc en prendre la moitié : \(\frac{10100}{2} = 5050\). Le jeune Gauss coiffe donc tout le monde au poteau en énonçant la somme juste de tête et avant même que le meilleur des élève ait fini la moitié du quart(3) de son calcul. Gauss vient de découvrir la formule de la somme des termes d'une série arithmétique ! Eh ouais, il est comme ça le Gauss !

Fier de mon petit effet, la conférence a pu ensuite se continuer sans accroc. J'avais réussi à capter l'attention du public et même de ceux qui avaient abandonné les mathématiques face à des professeurs peut-être aussi débordés que celui de l'histoire.


  1. (1) Un nom un peu pompeux pour parler des additions. En particulier, les très longues additions de termes d'une suite logique.
  2. (2) En effet, quand la première ligne est incrémentée de 1, la seconde est décrémentée de la même valeur.
  3. (3) Hey, on n'est plus dans les séries arithmétiques là !