En voilà une question saugrenue !
L'eau chaude ne peut pas geler plus vite que l'eau froide, voyons !
Elle est plus chaude, donc met plus de temps pour refroidir !

— Vous

Voilà peut-être la réponse que vous donneriez si on vous posait cette question. Cependant, la réponse à cette question n'est peut-être pas si évidente que ça, nous allons voir pourquoi.

Tout d'abord, avant de commencer tout article, un petit historique s'impose.
Dès l'Antiquité(1), Aristote aurait observé que l'eau chaude pouvait geler plus vite que l'eau froide, dans certaines conditions particulières ; tout ceci reste très évasif, donc on n'en est pas vraiment sûr, toujours est-il qu'il n'apporte aucune explication claire. Ensuite, des scientifiques comme Descartes auraient également observé le même phénomène, sans là aussi apporter de réelles explications.

C'est en 1963 que les choses bougent. Un étudiant, Erasto Mpemba, s'amusait à faire des crèmes glacées avec ses camarades, et s'aperçut qu'en mettant sa mixture chaude dans le réfrigérateur (au lieu d'attendre qu'elle refroidisse à 30 degrés), elle gelait plus vite que les autres. Son professeur et lui-même ne pouvant expliquer un tel phénomène, il dut attendre 1969, année où il publia avec Denis Osborne, un professeur d'université, un livre présentant leurs travaux sur la question. À partir de ce livre, un grand nombre de légendes urbaines se répandirent, et donnèrent lieu à toutes sortes de théories, comme quoi en hiver, les canalisations pouvaient geler car l'eau chaude gèlerait plus facilement, et d'autres choses saugrenues comme cela.
Du nom de l'étudiant en question, on nomma cet effet l'effet Mpemba(2).

Mais pourquoi observe-t-on ce phénomène ?
C'est ce que nous allons voir tout de suite. Comme je l'ai déjà dit, ce phénomène n'est observable que dans des conditions particulières. Tout d'abord, les températures des deux liquides ne doivent pas être trop éloignées. Par exemple, pas 1\(°C\) et 99\(°C\), mais plutôt 30\(°C\) et 70\(°C\). Ensuite, il y a un tas de conditions relatives au fait que le congélateur doit ou non faire du givre, en fonction de la taille du récipient(3)

Abordons maintenant l'explication de l'effet en lui-même. Selon les principes de thermodynamique de Newton – qui disent que la vitesse à laquelle un objet refroidit est proportionnelle à la différence de température entre celle de l'objet et celle de son environnement – ce résultat est impossible. Il faut donc se tourner vers les causes qui pourraient faire en sorte que le liquide chaud – ou froid ! – réagisse de façon improbable.

  1. Première théorie : le liquide est chaud, donc il s'évapore plus, et il y a moins de volume… Impossible ! Il n'y a pas assez d'évaporation pour observer une telle différence.
  2. Deuxième théorie : le principe de surfusion qui serait dû à la tension superficielle de l'eau. L'eau froide pourrait entrer dans un état assez fragile, qui ferait que l'énergie dépensée par la création d'interfaces solide-liquide n'est pas compensée par l'énergie libérée par la solidification. En gros, le liquide refroidit de plus en plus mais ne peut pas geler. Cet état ne peut être observable que si l'eau est relativement pure, et si elle est calme (si on l'agite, de l'énergie se libère, et l'eau peut geler). Or l'eau chaude est très agitée, elle ne peut donc entrer dans cet état. Est-ce suffisant ? Oui, l'eau froide peut descendre à des températures inférieures à -5\(°C\) dans un congélateur sans geler (dans l'atmosphère, la température de solidification peut être encore plus basse), alors que l'eau chaude gèlera à 0\(°C\). C'est donc assez conséquent.
  3. Troisième théorie : Les gaz dissous dans l'eau (principalement \(O_2\) et \(CO_2\)) abaissent le point de congélation de l'eau froide. Dans l'eau chaude c'est différent, car ces gaz s'échappent à cause de la chaleur de l'eau chaude qui les rend insolubles. Ceci fait que l'eau chaude gèle encore plus tôt que l'eau froide.
  4. Quatrième théorie : Les mouvements de convection(4), qui permettent d'accélérer les transferts thermiques se feraient moins dans l'eau froide parce que sa densité est trop élevée, l'eau chaude refroidirait donc plus vite, les mouvements de convection jouant un rôle important dans le refroidissement d'un liquide.
  5. Cinquième théorie : L'évaporation (la revoilà) retirerait de l'énergie au liquide chaud, qui se refroidirait plus vite… Assez contestable, car ce phénomène semble assez limité en milieu clos.
  6. Sixième théorie : Toutes ces théories réunies ! De loin la plus acceptable, aucune de ces théories n'étant assez conséquente seule pour geler l'eau chaude plus vite que l'eau froide.

Maintenant, plusieurs problèmes se posent.
Tout d'abord, toutes ces théories sont assez incertaines, et l'effet n'est pas toujours observable. De plus, on ne sait pas si cela marche avec tous les liquides (l'expérience de Mpemba tend à montrer que les crèmes glacées réagissent également comme cela, mais rien n'est très sûr) ; beaucoup de rumeurs ont été colportées, on ne sait pas vraiment où est le vrai, et les physiciens ne sont pas tous d'accord sur la question. Finalement, comme je l'ai dit au début, les conditions requises sont très floues, il est donc difficile de reproduire l'expérience dans des conditions scientifiques respectables et personne n'a jusqu'alors trouvé une explication générale applicable dans un cas général, qui répond au problème général.

La seule chose que je puisse vous proposer est de faire l'expérience chez vous, et d'essayer d'observer le phénomène en question. Maigre consolation !


  1. (1) Vous remarquerez que beaucoup de choses scientifiques ont été observées pendant l'Antiquité.
  2. (2) Mais, convenons-en, il est bien plus facile de dire : « l'effet qui fait que l'eau chaude gèle plus vite que l'eau froide ».
  3. (3) J'en conviens, ce n'est pas très scientifique comme explication, mais comme vous allez le voir, tout le monde est très évasif et perplexe.
  4. (4) C'est un transfert de chaleur qui se fait par déplacement de matière et non d'énergie.