Si je vous demande qui a inventé les poubelles, vous me répondez fièrement : le préfet Poubelle !
Si je vous demande qui a inventé la guillotine, vous me répondez… Monsieur Guillotin, bien sûr ! Même pas besoin du vote du public ni de l'appel à un ami !
– C'est votre dernier mot ?
– C'est mon dernier mot, Jean-Pierre !

Guillotine

Aïe aïe aïe ! Le pauvre Guillotin doit se retourner dans sa tombe ! Retour sur la période trouble post-révolutionnaire pour y voir un peu plus clair.

Devant l'Assemblée législative, le 10 octobre 1789, le député Guillotin déclare vouloir « humaniser la peine de mort ». Il propose une grande première : inventer une machine qui permettrait de couper des têtes « proprement » et sans douleur ! Hé oui, l'égalité devant la loi devenant le maître mot des Républicains en herbe, plus question de laisser la possibilité aux bourreaux d'écarteler, de pendre, de rouer, d'éviscérer ou encore d'ébouillanter un condamné pour « faire le show » devant une foule en délire !

L'égalité devant la mort devient donc un principe fondamental de la République. Malgré ses talents d'orateur, Guillotin n'arrive toutefois qu'à s'attirer le mépris des autres députés pour sa proposition aussi farfelue. L'affaire est close.
Mais Guillotin a de la suite dans les idées. Il ne lâche pas l'affaire jusqu'à ce que le 6 octobre 1791 soit décrété le célèbre : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée ! »(1).

Contre toute attente, ce n'est pas le docteur Guillotin qui est chargé de mettre au point la machine à couper les têtes, mais c'est un certain docteur Louis qui s'y colle et qui recycle une machine ancestrale utilisée au Moyen Âge.
Après quelques tâtonnements sur la forme à donner à la machine, et particulièrement à la lame, c'est – ironie de l'Histoire ! – Louis XVI en personne qui adopte officiellement la « Louisette », du nom de son concepteur.
Le 25 avril 1792, le grand jour est arrivé ! La Louisette va trancher la tête de son tout premier condamné à mort, un certain Nicolas Jacques Pelletier. Pour assurer le spectacle, une foule immense est conviée à assister à cette première représentation.

On imagine la foule en délire, jetant fruits et légumes pourris sur la figure du condamné. La foule est avide de sang. Il faut dire qu'elle a l'habitude des exécutions publiques qui durent plusieurs heures et qu'elle se nourrit avec délectation des cris de souffrance des suppliciés. Au fond, c'est bien Juvénal qui avait raison…
Et là… Plouf ! En à peine quelques secondes, la tête repose déjà au fond du panier et circulez m'sieurs dames, y'a plus rien à voir ! C'est inadmissible ! Cette machine à décapiter gâche tout le plaisir ! En proie à la colère, la foule gronde et hue le bourreau.
On a du mal à imaginer l'ampleur que prend cette affaire, avec nos yeux d'Occidentaux « civilisés ». Même le lendemain de l'exécution, la colère du peuple ne retombe pas, au point que des chansons fleurissent d'un peu partout, implorant les autorité de rendre leurs exécutions « traditionnelles » au petit peuple. Il faut dire qu'un voleur plongé doucement dans de l'eau bouillante, ça a quand même plus de gueule !
Cette protestation populaire a pour conséquence de créer une mise en scène un peu plus tape-à-l'œil, le bourreau est par exemple prié de brandir la tête tranchée encore dégoulinante de sang à la foule. Il se dit même qu'on se battait pour avoir le privilège d'être aux premiers rangs et de recevoir quelques giclées de sang…

Têtes de suppliciés, Théodore Géricault

Et puis, les médias rentrent en scène. Les journalistes parlent au début indifféremment de la « Louisette » ou de la « machine de Monsieur Guillotin ». Ce dernier s'insurge : non, non, et non ! Il n'est en rien l'inventeur de cette machine ! Il est seulement le premier homme à avoir demandé d'humaniser la peine de mort et d'exécuter tous les prévenus de la même façon !
Et plus le pauvre Guillotin se défend d'être l'inventeur de la machine à décapiter, plus les médias s'amusent à la nommer « guillotine » ! Il ne faudra pas bien longtemps pour que le terme s'impose et finisse par rentrer dans le langage courant…

– Quel dommage ! Vous venez de perdre 48 000€ !
– C'est le jeu, Jean-Pierre ! En tout cas, je voulais vous dire que vous êtes encore plus beau qu'à la télévision !
– Allez, au revoir, Patrick !
– Au revoir, Jean-Pierre !

Laissons le mot de la fin à Victor Hugo, une citation indispensable pour briller en société :

Il y a des hommes malheureux. Christophe Colomb ne peut attacher son nom à sa découverte. Guillotin ne peut détacher le sien de son invention.

— Victor Hugo

  1. (1) Il n'y a qu'un génie comme Fernandel pour transformer cette phrase somme toute assez banale en une scène mythique du cinéma français !