Prof : Qu'est-ce qu'un esprit cartésien ? Personne ne sait ? Vraiment personne ? Vous, là-bas, au fond, je suis sûr que vous savez ! Allez, dites-nous, c'est quoi, être cartésien ?
Élève terrorisé : Heu… Bah… C'est être rationnel, ne croire que ce que l'on voit, non ?
Prof : Non.
Élève : …

Voilà une scène bien courante de cours de philosophie. Mais, à la place de ce pauvre élève, qu'auriez-vous répondu ? Vous ne savez pas ? Je m'en doutais. Heureusement, je suis là. Nous allons donc maintenant, pour votre plus grand bonheur à tous, définir ce qu'est un esprit cartésien. Et pour cela, nous allons parler du grand, du seul, de l'unique Descartes, en l'accompagnant dans ses méditations métaphysiques. Bien sûr, Descartes étant mort, nous allons devoir faire un petit effort d'imagination pour le rejoindre. Vous êtes prêt ? Alors, allons-y, partons pour un petit voyage dans le temps et l'espace…

Nous sommes en 1619, dans le nord des Pays-Bas – à l'époque, les Provinces-Unies. René Descartes, entre deux batailles(1), s'est retiré dans un poêle (c'est-à-dire une pièce chauffée par un poêle) pour se reposer. Dans ce poêle, il trouve une ambiance propice à la réflexion, et se met alors à réfléchir.

Or, que se dit-il ? Tout d'abord, il revient sur ses années d'études, durant lesquelles de grands professeurs lui ont enseigné des choses en les certifiant parfaitement exactes mais qui seront plus tard, suite à des recherches personnelles, révélées fausses(2). Or, imaginez que, après avoir ramassé des pommes et les avoir mises dans un sac, vous en piochiez une au hasard, pour découvrir qu'elle est pourrie. Que faites-vous ? Vous la jetez et en prenez une autre. Si cette deuxième pomme est elle aussi pourrie, comment réagissez-vous ? Vous avez des doutes. Vous en prenez une troisième, elle est tout aussi pourrie. Alors, à ce moment-là, que faites-vous ? Vous décidez d'examiner toutes les pommes une par une, pour ne garder que celles qui sont absolument mûres. Descartes suit le même raisonnement : ayant découvert que plusieurs idées qu'il tenait pour parfaitement vraies étaient incorrectes, il décide de réexaminer lui-même toutes les idées qu'on lui a enseignées, ne tenant pour vraies que celles qui sont absolument certaines. C'est cette démarche de doute généralisé que l'on nomme le doute cartésien, et qui est expliqué dans le Discours de la Méthode et les Méditations Métaphysiques.

Cependant, Descartes rencontre rapidement un problème : comment examiner toutes ses idées ? Une vie ne serait pas suffisante pour cela. C'est alors qu'il a une intuition géniale : il s'attaque d'abord aux fondements de la connaissance, aux principes sur lesquels toute connaissance est bâtie. Or le principe premier de la connaissance, c'est l'expérience des sensations : je sais que j'ai un corps, parce que je le vois, je sais que le monde autour de moi existe, parce que je le vois… Or, dit Descartes, les sens sont trompeurs, comme chacun a pu en faire l'expérience avec les illusions d'optique. Donc, en conclut-il, toute connaissance basée sur les sensations est douteuse, et doit être considérée comme fausse.

Mais alors, que nous reste-t-il de vrai ? « De quoi puis-je être certain ? », telle est la question qui ouvrira les Méditations métaphysiques. Descartes apporte à cette question une réponse d'une importance capitale. En effet, dit-il, quand bien même tout serait incertain, y compris mon corps, quand bien même je douterais de tout, il faut bien que « moi qui doute » je sois quelque chose, autrement je ne pourrais pas douter. Donc, si je doute, je suis. Or quand je doute, je pense, donc si je pense, je suis. Et le voilà, le fameux cogito ergo sum – je pense, donc je suis – cartésien ! Cette affirmation est, pour Descartes, la seule chose dont l'Homme puisse être totalement certain.

Mais, me direz-vous, quel rapport avec la réponse apportée par l'élève en début d'article ? Eh bien, l'élève a fait une confusion qui est très souvent faite, à savoir qu'être cartésien, c'est ne croire que ce que l'on voit. Descartes était bien un philosophe rationnel, mais le rationalisme, ce n'est pas croire ce que l'on voit, bien au contraire. Comme nous l'avons vu plus haut, Descartes refusait totalement de considérer comme vrai ce qu'il voyait uniquement parce qu'il le voyait : pour lui, la connaissance vraie ne doit pas venir des sens (donc de la vision), mais de l'esprit (c'est-à-dire de la raison). Si vous croyez aux fantômes simplement parce que vous en avez vu un, vous n'êtes absolument pas cartésien(3). Un cartésien véridique, voyant un fantôme, affirmera : « Sacredieu, mes sens se jouent encore de moi. »

Donc, à l'avenir, évitez cette confusion trop souvent faite aujourd'hui : ne croire que ce que l'on voit n'a absolument rien de rationaliste.


  1. (1) Eh oui, Descartes était mercenaire… Il maniait très bien l'épée, et a survécu au cours de sa vie à un certain nombre de duels. Donc, contrairement à ce qu'on pourrait penser, il n'avait rien de l'érudit enfermé dans sa tour d'ivoire, cultivant son esprit et négligeant son corps. Autant pour nos préjugés.
  2. (2) Notamment le fait que la Terre était plate, Descartes ayant, après recherches, rejoint la thèse de Copernic et Galilée, même s'il ne l'a jamais dit tout haut par peur de la censure et de l'Église.
  3. (3) Vous seriez plutôt, pour schématiser, empiriste. L'empirisme consiste à considérer que toute connaissance vient des sens. C'est une philosophie traditionnellement plus présente en Angleterre, opposée au rationalisme continental (Descartes en France, Spinoza en Italie, Leibniz en Allemagne…)