Ah ! Comme ils sont mal connus, ces mots étranges et pénétrants qui ne sont chaque fois ni tout à fait les mêmes ni tout à fait des autres, que j'aime et je comprends.

Ébaubi lecteur, te voici convié, pour ton instruction, au Perdu de Vue des mots pupilles de la Nation. Sous tes yeux embués, voici que tous ces petits mots que l'usage a rendu orphelins vont retrouver leur mère.

Féru tout d'abord. Participe passé du verbe férir, dont l'étymon « fer » indique l'origine martiale et que l'on n'emploie plus aujourd'hui que dans l'expression « sans coup férir » (sans porter un coup, sans rencontrer de résistance).
Ainsi, de façon figurée, être féru d'une personne signifie en être touché au cœur, en être épris ; par extension l'expression a désigné la passion que l'on éprouve pour tout objet. Je suis férue de sémantique lexicale et n'ai cure que cette discipline soit sans issue.

Issu(e). Tantôt participe, tantôt nom commun, indiquant tristement la sortie. C'est qu'il tire son origine d'un verbe défectif qui n'est plus employé aujourd'hui, issir, tout droit issu du latin exire, « sortir » et au figuré « provenir de ».
C'est ainsi que l'on peut être issu de la cuisse de Jupiter ou de germain, emprunter l'issue de secours sans intention de la rendre ou souhaiter au présent article une issue rapide sinon favorable (Au fait ! Au fait ! me diras-tu, impatient lecteur. J'y viens).

Et de fait, voici forfait, délétère engeance du verbe forfaire qui désigne l'action de commettre un délit ou de nuire à autrui et qui, par une bizarrerie de la langue, n'a rien à faire avec votre forfait hivernal de remontée mécanique, qui, lui, ne nuit à personne.
En revanche, formé grâce au préfixe -fors qui désigne ce qui est en dehors (dans le cas du forfait, « en dehors des lois »), on peut, nouvelle bizarrerie de la langue, rapprocher le forfait de la forêt, qui désigne au Moyen Âge les terres en dehors des limites seigneuriales (fore est donnant forestis(1)) et, par extension, le lieu de tous les dangers et de tous les forfaits.

Ah, lecteur ! je te vois gisant, grisé, pâmé de tant de merveilleuses coïncidences linguistiques.
Car de gésir, naît le gisement, l'abandon (elle gisait, languissante, pantelante entre ses bras, Barbara Cartland ou à peu près), le lieu de résidence, momentané (Au fond de tout déboire gît, pour qui sait l'entendre, un « ça t'apprendra » que j'écoutai. Gide, exactement) ou éternel : « Ci-gît Vjan qui fit sienne la maxime Homo sapiens non urinat in ventum ».

Mais voici qu'il se fait tard. Très estimé lecteur, il faut surseoir.
Tu as bien entendu, oui : j'ai demandé un sursis. Verbe seoir dont, à l'infinitif, seuls les composés sont restés en usage et que notre œil de lynx repère, camouflés sous les robes seyantes et le séant de madame, l'assiette du cavalier ou celle de l'inspecteur des impôts, la séance de ciné ou l'immeuble sis rue Sarasate.
Ainsi, lorsque Dulcinée murmure « Oh, Chéri, pas se seoir », lecteur, ravale ta réplique cinglante : peut-être préfère-t-elle, la friponne, rester debout.


  1. (1) L'origine du mot « forêt » que je rapporte ne fait pas l'unanimité. Certains considèrent que le préfixe -for provient du « forum » latin (la place publique, le tribunal) et désigne l'ensemble des terres sous la juridiction du seigneur. En ce cas, ce préfixe est le même que celui de l'expression « for intérieur ». Si j'ai privilégié pour « forêt » le préfixe fors (hors de), c'est que ce lieu est toujours présenté dans les textes médiévaux comme un espace dangereux, refuge des hors-la-loi, des marginaux, des ermites, bref, de tous ceux qui vivent au-delà des limites seigneuriales.