Que l'on s'en serve pour quadridécapoder,
Pour plaire à l'être aimé, ou pour faire rêver,
La noble Poésie accueille à bras ouverts
Quiconque appréciant la beauté de ses vers.

Cette grande beauté ne ravit les esthètes
Que car la Poésie impose à ses poètes
De respecter ses règles, et respecter son code.
Si tu veux composer, apprends avec méthode.

Apprends en premier lieu à parfaire tes rimes,
À bien les agencer, pour les rendre sublimes ;
Puis intéresse-toi à la prononciation
Pour déclamer tes vers sans une hésitation.

Aujourd'hui, place à un peu de poésie dans ce monde de brutes. Car, même s'il n'est plus guère à la mode auprès des écrivains, le sixième art subsiste encore et toujours(1), et vaut bien un omnilogisme ou deux. Je tiens à préciser que je n'aborderai ici que la poésie française classique, c'est-à-dire la plus courante chez nous(2).

Penchons-nous tout d'abord sur la rime : comme vous le savez, la rime consiste en une répétition de sons à la fin d'un vers. Il existe trois types de rimes :

  • la rime plate, de la forme AABB :

    Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte,
    Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
    Et du premier consul, déjà, par maint endroit,
    Le front de l'empereur brisait le masque étroit.

    — Hugo, Les feuilles d'automne, Ce siècle avait deux ans
  • la rime croisée, de la forme ABAB :

    C'est un trou de verdure où chante une rivière,
    Accrochant follement aux herbes des haillons
    D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
    Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

    — Rimbaud, Poésies, Le dormeur du val
  • la rime embrassée, de la forme ABBA :

    Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
    Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
    Tout petit prince a des ambassadeurs,
    Tout marquis veut avoir des pages.

    — La Fontaine, Fables, La grenouille et le bœuf

De plus, comme vous pouvez vous en douter, plus ça rime, mieux c'est. On définit alors trois types de rimes :

  • la rime riche, qui rime sur au moins trois sons :

    Dans le vieux parc solitaire et glacé,
    Deux formes ont tout à l'heure passé.

    — Verlaine, Les Fêtes Galantes, Colloque Sentimental
  • la rime suffisante, qui rime sur deux sons :

    Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
    Et l'on entend à peine leurs paroles.

    ibid.
  • la rime pauvre, qui rime sur un son. Attention, il n'est pas possible de faire des rimes pauvres avec autre chose que des sons voyelliques : si château et rideau riment à l'oreille de façon immédiate ; pour pâtes et frites, c'est moins évident. Par ailleurs, les poètes évitent tout court de s'en servir.

Citons également les holorimes, qui sont des vers qui riment… intégralement :

Saoul, l'heureux gars Raimu descend, pas sans dangers,
Sous le regard ému des cent passants d'Angers.

— Prévert

Enfin, mentionnons pour les puristes que les vers ont également un genre et un nombre : un vers finissant par -e, -es, -ent sont des vers dits féminins, les autres masculins. Les vers finissant par un -s sont dits pluriels, les autres singuliers. Et – c'est là que ça se corse – on ne doit faire rimer un vers qu'avec un vers de même type, et alterner les rimes féminines (plurielles ou non) avec les rimes masculines(3).

Penchons-nous maintenant sur la prononciation. En règle générale, c'est très simple : il suffit de lire le poème comme l'on parlerait. Cependant, le français ne serait pas le français s'il n'y avait pas d'exception. Ainsi, pour les mots se finissant par -e, -es ou -ent, et qui d'habitude ne se prononcent pas à l'oral :

  • si le e est placé avant un mot commençant par une voyelle ou à la fin d'un vers, il ne se prononce pas ;
  • s'il est placé avant un mot commençant par une consonne, il se prononce, et compte comme une syllabe.

Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes ?

— Racine, Andromaque

Ici, « sifflent » compte pour deux syllabes ; « têtes » pour une seule.

Enfin, signalons la diérèse, figure de style qui permet de mettre l'emphase sur un mot en prononçant deux voyelles consécutives comme autant de syllabes. Ainsi, dans l'exemple suivant :

Car enfin n'attends point de mon affection
De lâches sentiments pour ta punition.

— Corneille, Le Cid

On prononce « affect-i-on » et « punit-i-on ». Accessoirement, la diérèse peut permettre de transformer son vers de onze syllabes boiteux en un noble alexandrin, le tout en invoquant simplement la licence poétique. Si c'est pas beau, ça…


  1. (1) Ce n'est pas une certaine saga médiévalo-rôlistico-fantastique mp3 qui me contredira…
  2. (2) Par ailleurs, cette forme classique est également employée par le théâtre classique, c'est pourquoi vous verrez quelques extraits de tragédies.
  3. (3) Exemple ? On peut faire liste/endroit/piste/détroit (rimes croisées), mais pas listes/endroit/piste/détroit. Au pire, personne ne vous en voudra si vous ne respectez pas cette règle.

Cet article vous a plu ? Courez lire la suite !