On ne rappellera pas l'histoire de la plus sanglante bataille de l'Histoire, l'obstination d'Hitler à refuser aux vingt et une divisions allemandes et deux divisions roumaines de sa sixième armée l'autorisation de se replier pour échapper à l'encerclement, puis de se rendre. C'est au dernier moment qu'il décerna à son chef, Friedrich Von Paulus, le grade de feld-maréchal, avec un rappel explicite : jamais aucun feld-maréchal allemand ne s'est rendu, même à Napoléon. Paulus comprit parfaitement et déclara : Je n'ai aucune intention de me faire sauter la cervelle pour ce caporal bohémien. Dès le lendemain, le nouveau feld-maréchal se laissait capturer.

La colère d'Hitler, à sa conférence du 1er février 1943, est plus que significative de notre point de vue :

Voici un homme capable de regarder impassible cinquante ou soixante mille de ses soldats qui meurent et se défendent vaillamment jusqu'au dernier. Comment peut-il se livrer aux bolcheviks ? (…)
C'est si facile à faire. Le pistolet, c'est simple. Quel genre de lâcheté faut-il pour s'y dérober ? (…)
Plus personne ne sera promu Feld-maréchal au cours de cette guerre (…).
Comment peut-on être lâche à ce point ? Je ne comprends pas. Tant de gens doivent mourir. Et voici qu'un type pareil y va et salit à la dernière minute l'héroïsme de tant d'autres. Il pouvait se libérer de toute cette misère et entrer dans l'éternité, l'immortalité nationale, et il préfère aller à Moscou. Comment peut-on faire un choix pareil ? C'est dément.

— Ian Kershaw, Hitler 1936-1945, Flammarion, 2000, p. 797.

On allait néanmoins, dans un premier temps, annoncer fallacieusement que les soldats et officiers s'étaient battus jusqu'au dernier coup de feu et « étaient morts pour que l'Allemagne vive ».
Pour autant, à Stalingrad même, certains des généraux allemands ont malgré tout tenu compte des directives d'Hitler, de façons diverses. Les généraux Von Harman et Stempel se suicidèrent effectivement ainsi que nombre d'officiers de moindre rang, et encore plus d'hommes de troupe (mais probablement plus par désespoir que par discipline).
D'autres en affichaient l'intention mais n'allaient pas jusqu'au bout.

Mais après avoir proclamé nous combattrons jusqu'à la dernière balle sauf une, Heitz ne parut pas décidé, non plus que son état-major, à suivre sa propre consigne. Ses proches collaborateurs avaient, selon un officier, déjà préparé des drapeaux blancs et ce n'était certainement pas à son insu !
Paulus lui-même, après sa capture, refusa de céder aux exigences de ses vainqueurs d'ordonner une reddition générale(1).

Seize mois plus tard, le 7 juin 1944, lendemain du jour J, Hitler donna l'ordre de résister jusqu'à la dernière goutte de sang ce que le commandant des armées allemandes de l'ouest, le Feld-maréchal Gerd Von Rundstedt, diffusa non sans une rectification de son crû : non plus « jusqu'à la dernière goutte de sang » mais « jusqu'à la dernière balle » (et pas « sauf une » !).


  1. (1) Antony Beevor, Stalingrad, de Fallois, 1999, p. 372.