Maurice Vitton, 32 ans, homme respectable, maître d'hôte pour un restaurant gastronomique récemment étoilé au guide Michelin, s'apprête à vivre l'un des jours les plus marquants de sa vie. C'est le jour J. Il y aura un avant et un après aujourd'hui.

Il va passer devant l'autel d'ici quelques heures. Pour l'occasion, il a acheté un bel ensemble : costume trois pièces, chemise cintrée, cravate assortie, ceinture ajustée, mocassins cirés et les petites socquettes noires qui vont bien. Un véritable membre de la Cosa Nostra.

Logiquement, il enfile en premier lieu son pantalon, qu'il ne ferme pas tout de suite pour pouvoir y rentrer sa chemise subséquemment.
Puis il revêt sa chemise. Bras gauche, bras droit, petit ajustement d'épaules. Allez hop, il commence à la boutonner, du haut vers le bas.

Le stress est palpable.

Le premier bouton est pour plus tard. Sans cravate, le col fermé donne un air niais (voire retardé), c'est bien connu. Prenez par exemple Forrest Gump, ou plus récemment Simon dans la série Misfits.

Il saute donc au deuxième. Le tissu est neuf, un peu rigide, le bouton force un peu mais finit par loger dans sa boutonnière.

Troisième bouton. Ses mains tremblent, il appréhende. Le bouton entre à demi mais finit par se dégager. Sacrebleu ! Il reprend, enfin.

Quatrième bouton. Ses mains deviennent expertes.

Cinquième bouton, une formalité.

Sixième bouton. Tiens ! Il n'avait alors jamais remarqué. Pas lors des essayages, ni même les matins lorsqu'il boutonne ses chemises avant de partir au restaurant, en vitesse. Quel effroi !
La dernière boutonnière n'est pas dans le même sens que les autres !

Non, non, elle est horizontale, opposée à toutes ses consœurs. Mais pourquoi ? Serait-ce un défaut de fabrication ? Impossible ! Cette chemise est une Dior car on ne se marie qu'une fois et qu'il faut faire les choses en grand, comme ne cessait de lui répéter sa belle-et-tendre future épouse.
Il réfute vite cette hypothèse qui impliquerait avoir payé des mille et des cents une chemise avec une boutonnière à l'envers. Autant dire l'arnaque du siècle.

On frappe à la porte. Son témoin, un homme d'esprit et de sagesse, un peu braillard cela dit. Il saura forcément répondre à cette interrogation des plus déroutantes et qui pourrait mettre cette journée en péril. (Au bas mot, car Maurice Vitton est assez fébrile et se laisse facilement perturber.)

Notre marié de lui demander :
— Jean-Guillaume, avais-tu déjà remarqué que la dernière boutonnière d'une chemise était à l'horizontale ?
— Fichtre oui ! rétorque-t-il.

« Ayé ! » pense Maurice, le suspense intenable semble enfin toucher à sa fin. L'explication tant attendue est imminente et ne saurait tarder…
— C'est un gage de qualité ! Un couturier qui prend la peine d'inverser la dernière boutonnière est un bon couturier. Ou plutôt une bonne couturière(1). Si tu veux tout savoir, étant marmot, je voulais percer dans le monde de la mode [… ]

S'ensuit une interminable digression (dont je vous ferai grâce) sur ce qui l'avait poussé à renoncer à sa carrière de couturier pour réaliser son rêve premier : l'ostréiculture.

La dernière boutonnière horizontale est là seulement par souci de qualité. En effet, ce dernier bouton n'est pas censé être visible, puisque la chemise se porte dans le pantalon. Fini l'air débraillé, la mode est au classique/chic/bon genre.

Avouons-le-t-au passage(2), quelle galère de se renfroquer ! La chemise ne tient jamais en place. Elle dépasse derrière, elle baille devant. Mais ceci est un autre problème, c'est un problème de coupe(3).

Ainsi, la boutonnière horizontale se retrouve sous le pantalon, calfeutrée entre votre plus beau slip(4) et votre plus belle chemise. C'est donc afin de limiter les frottements et l'étirement du tissu que cette satanée boutonnière est à l'envers.
Je vous laisse imaginer les moult tensions que doivent subir nos chemises ainsi rentrées dans nos pantalons, et ce une journée durant…

En résumé : pour éviter une tension sur les coutures de votre chemise à l'intérieur de votre pantalon rien de tel que la boutonnière horizontale.

Mais alors pourquoi ne pas mettre toutes les boutonnières à l'horizontale ?
Deux raisons principales :

  • C'est laid. Imaginez une boutonnière horizontale sur une bande de boutonnage verticale… C'est comme mélanger les motifs : des carreaux sur des rayures, des pois sur des cœurs.
  • Ça risque de bailler, de ne pas se tenir et de donner un air un peu négligé.

  1. (1) Jean-Guillaume est quelque peu misogyne.
  2. (2) Magnifique exemple de pataquès qui fera, je l'espère, l'objet d'un nouvel article d'Omnilogie.
  3. (3) Pour les passionnés, la chemise Slim Fit vise d'ailleurs à y remédier.
  4. (4) Puisqu'on parle « fashion », autant préciser que le slip est le comble de la ringardise.