« Petits, petits, petits, petits… !! » Cet appel familier, prononcé d'une voix aimable, synonyme de grains croquants et savoureux, retentit tous les matins dans la petite cour de la ferme. Blanchette, Noiraude, Roussette et leurs congénères se précipitent hors du poulailler pour recueillir la manne quotidienne qui tombe du ciel, ou plutôt du grand sac de la fermière.

Mais ce matin, alors qu'elle avisait de son œil rond un grain jaune et appétissant, Noiraude se sent brusquement soulevée dans les airs. « Bonne affaire ! », pense la Roussette en se précipitant sur le grain si tentant.
« Cloc ! ». Un gloussement étouffé retentit, quelques plumes noires retombent au sol, adieu Noiraude.

Roussette et les autres poules lèvent le bec et considèrent la fermière : il se passe quelque chose d'inhabituel. Noiraude inanimée sous le bras, la fermière couve les autres gallinacées d'un regard tendre. Se consultant du regard, les poules décident néanmoins de s'éloigner prudemment. Le dieu des poules seul sait ce qui est arrivé à Noiraude, mais sait-on jamais si l'on pourrait compter sur lui en cas de grain ?
La fermière, elle, s'interroge : pourquoi ses poules ne s'envolent-elles pas ? Ce n'est pas en marchant vite qu'elle pourront la semer, et elles le savent bien. Alors, trop dur de battre des ailes pour la bonne cause ? Pour répondre à cette question, nous pouvons élaborer plusieurs hypothèses :

  • Hypothèse A : les poules ont un tout petit cerveau, et un gros gésier. En conséquence, elles n'ont pas compris ce qui est arrivé à Noiraude et elles ont encore faim. Et puis, de toute façon chacune pour soi et le dieu des poules pour tous, c'est connu.
  • Hypothèse B : les poules ne volent pas parce que cela ne se fait pas, on n'a jamais vu une gallinacée digne de ce nom se laisser aller à s'envoler sous le coup d'une émotion. On est pas des poules mouillées, que diable.
  • Hypothèse C : les poules ne volent pas car elles ont le vertige en altitude.
  • Hypothèse D : les poules ne volent pas car elles ont compris qu'au fond, tout envol est suivi d'une chute, et que la véritable élévation de l'âme est dans le détachement et le lâcher-prise (sauf s'il s'agit d'un grain de maïs)
  • Hypothèse E : Noiraude a fini en vol-au-vent, donc tout vient à point à qui sait attendre.

Analysons maintenant l'anatomie d'une poule ordinaire, une espèce d'élevage. Elle est pourvue de deux ailes de longueur adéquate, musclées et emplumées à souhait. Son squelette est léger, ses os sont pleins de cavités (si l'on peut dire) destinés à les alléger, son organisme contient plusieurs sacs aériens, sa tête est aérodynamique… À vue de bec, la voie des airs semble ne pouvoir lui être refusée. Pourquoi alors ne vole-t-elle pas ?
Manque d'habitude, tout simplement. Domestiquée depuis -3 250 avant J.-C., la poule n'a plus la nécessité de voler depuis qu'on lui fournit le vivre et le couvert. La sélection artificielle des poules sur des critères de saveur de la viande et de capacité à engraisser rapidement ont aidé à la perte du vol. C'est ce qui explique également la dénomination de « viande blanche » qui est appliquée à la chair de poule(1). On peut constater que la chair des poules est blanche principalement au niveau des ailes ; ceci est dû à la faible teneur en myoglobine de leurs muscles. La myoglobine, pigment proche de l'hémoglobine, sert à transporter l'oxygène jusqu'aux cellules musculaires. Lorsqu'un muscle est peu sollicité, ses besoins en oxygène diminuent. Une re-répartition de la myoglobine s'effectue alors dans l'organisme pour privilégier les muscles les plus mobilisés. Ainsi, chez la poule domestique, la chair est plus brune au niveau des cuisses et des pattes.

Évidemment, comme il existe toujours des exceptions pour confirmer la règle, quelques poules aiment à faire trois p'tits tours en l'air avant de s'en aller…

Une poule pas si ordinaire


  1. (1) L'homme aussi d'ailleurs, quand il a la chair de poule, a tendance à pâlir… je ne pousserai pas l'analogie plus loin, rassurez-vous, et refermons cette parenthèse.