Je ne ferai pas l'affront au lecteur de prétendre lui apprendre d'où viennent les perles que portent les princesses à leur cou…

— Des huîtres !

— Un lecteur à qui on ne la fait pas.

Oui mais… non. Les perles de joaillerie viennent bien d'un mollusque bivalve, mais pas des huîtres sensu stricto (super-famille des Ostreoidea). Elles proviennent d'un bivalve du genre Pinctada (famille des Pteriidae), qu'on appelle à tort « l'huître perlière ». Remarquez néanmoins que d'autres familles de bivalves peuvent aussi produire occasionnellement des petites perles(1) sans valeur commerciale. Vous n'aviez donc pas tout à fait tort.
Je referme cette parenthèse car l'article aujourd'hui ne porte pas sur la culture des perles, mais sur les histoires de perles célèbres qui ont connu un destin mouvementé, voire tragique.
Au menu : pourquoi il est dit dans Astérix que Cléopâtre adorait les perles au vinaigre, et : Peregrina la perle vagabonde qui a voyagé jusque dans les endroits les plus improbables.

Dans son palais, la fastueuse Cléopâtre se prépare à prendre sa collation préférée : des perles dissoutes dans du vinaigre.

— René Goscinny et Albert Uderzo, Astérix et Cléopâtre, 1965.

Une phrase que nous avons tous lue et qui nous a probablement tous intrigués. Goscinny est connu pour truffer ses albums de références variées. L'origine de cette dernière se trouve dans Histoire Naturelle de Pline l'Ancien qui nous apprend que la reine Cléopâtre avait parié avec Marc Antoine qu'elle lui servirait un repas valant 10 millions de sesterces, une fortune en -40 avant J.-C. Voici comment Cléopâtre gagna son pari :

Le lendemain, jour où devait se vider l'affaire, elle fit servir un repas magnifique, sans doute pour que la journée ne fût pas perdue, mais qui ne valait pas mieux que les repas ordinaires d'Antoine. Celui-ci plaisante, et demande le compte. Cléopâtre répond que ce n'est qu'un accessoire ; elle ajoute que le repas coûtera le prix fixe, et que seule elle mangera les 10 millions de sesterces. Elle fait apporter le second service. Ses serviteurs, qui étaient dans le secret, ne placent devant elle qu'un vase plein de vinaigre, liquide dont la force dissolvante fond les perles. Elle portait en ce moment ces deux perles, chef-d'œuvre singulier de la nature, et véritablement sans pareil. Antoine examinait ce qu'elle allait faire : la reine en ôte une, la jette dans le vinaigre, la fait fondre et l'avale.

— Pline l'Ancien, Histoire Naturelle, livre IX, chapitre LVIII, traduction d'Émile Littré, 1848.

Ainsi, c'est par l'acide que disparu la reine des perles(2)… L'arbitre du pari, Lucius Munatius Plancus, déclara Cléopâtre gagnante et retint la main de celle-ci qui s'apprêtait à dissoudre la seconde perle. La perle rescapée fut sciée en deux pour confectionner des pendants destinés à la statue de Vénus dans le Panthéon de Rome. Les pendants furent probablement détruits lors d'un incendie en 110 après J.-C. qui endommagea gravement le Panthéon(3). Et c'est par le feu que disparu la reine consort(4) des perles

Quelques siècles plus tard, au milieu du XVIe siècle, fut découverte sur la côte de l'île de Santa Margarita dans le Golfe de Panama la plus grosse perle jamais trouvée alors : 55,95 carats ! Elle fut offerte au Roi Philippe II d'Espagne qui la présenta à Marie Tudor Reine d'Angleterre en gage de leur union. À la mort de Marie Tudor en 1558, la perle retourna en Espagne garnir les joyaux de la Couronne espagnole pendant 250 ans.

En 1813, Joseph Bonaparte(5) doit fuir l'Espagne, non sans emporter quelques-uns des joyaux de la Couronne dont cette perle qui acquière alors le nom de « Peregrina » : la Vagabonde. Il donna la perle à son neveu, le futur Empereur Napoléon III, qui lors de son exil en Angleterre en 1871 la vendit à son tour à James Hamilton. Le futur Duc d'Abercorn offrit la perle à sa femme Louisa qui la perdit à deux occasions, mais la retrouva à chaque fois, accentuant d'avantage la réputation de la perle vagabonde. La Peregrina resta dans la famille Hamilton jusqu'en 1969 où elle fut vendue aux enchères et acquise par Richard Burton qui l'offrit pour la Saint-Valentin à sa femme Elizabeth Taylor.
Est-il besoin de rappeler qui est Elizabeth Taylor ? On se souviendra notamment de sa mémorable interprétation de la reine Cléopâtre dans le film pharaonique du même nom de Joseph L. Mankiewicz en 1963.

— Cléopâtre ? Mais quelle drôle de coïncidence…

— Un lecteur attentif.

En effet, d'autant plus que la coïncidence va encore plus loin. C'est précisément en regardant ce film que Goscinny et Uderzo ont eu l'idée de l'histoire de l'album Astérix et Cléopâtre. Intrigant…
Et l'histoire de la Peregrina ne s'arrête pas là, car Elizabeth Taylor égara elle aussi la perle. Catastrophée, elle la chercha partout en vain, avant de remarquer qu'un de ses chiens était en train de mâchouiller quelque chose…

Je vis l'un d'eux mâchouiller un os. Je pensai : une minute, on ne donne pas d'os à nos chiens, en particulier aux chiots ! Au cas où, j'ouvris la bouche du chiot, et à l'intérieur se trouvait la plus parfaite des perles. Elle n'était, dieu merci, pas abimée.

— Elizabeth Taylor, Elizabeth Taylor : My Love Affair with Jewelry, 2002.

La perle aventurière fut sauvée de justesse… Après tant d'émotion, la Peregrina se tînt tranquille jusqu'à la mort d'Elizabeth Taylor en 2011, après laquelle la perle fut vendue aux enchères. Lesquelles montèrent jusqu'à plus de 10 millions de dollars !

— 10 millions ? Ce chiffre me rappelle quelque chose…

— Un lecteur décidément très attentif.

Et oui, rappelez-vous Pline l'Ancien ! Le pari de Cléopâtre portait sur un repas à 10 millions de sesterces : autre devise, mais même somme. Une autre coïncidence qui termine le récit des destins croisés de ces perles célèbres. Destins tragiques pour les perles de Cléopâtre et destin tumultueux pour la Peregrina, et qui sait quelles aventures l'attendent encore ?


  1. (1) Ceux qui ont déjà mangé des tellines ou des coques auront peut-être croqué une perle sans le savoir, pensant qu'il s'agissait d'un grain de sable ou d'un morceau de coquille.
  2. (2) Une des plus grosses de son temps si on en croit Pline l'Ancien.
  3. (3) L'actuel Panthéon de Rome fut reconstruit sur les ruines du premier sous le règne de l'empereur Hadrien vers l'an 125.
  4. (4) Qui n'était déjà plus que la moitié d'elle même, si je peux me permettre ce jeu de mots facile.
  5. (5) Le frère de Napoléon Ier, lequel avait confié à celui-ci la couronne d'Espagne en 1808. Il est chassé d'Espagne par une coalition Espagnols-Portugais-Anglais après la défaite française à Vitoria le 21 juin 1813.