S'il vous est déjà arrivé de passer l'arme à gauche, félicitations : vous faites partie du groupe très select des personnes qui sont mortes et qui pourtant sont encore vivantes.
Vous l'aurez compris, passer l'arme à gauche signifie, plus prosaïquement, mourir. D'où peut bien nous provenir cette étrange expression ? Du militaire, vraisemblablement, mais plus précisément ? En fait, comme pour un bon nombre d'expressions, il existe plusieurs origines, dont voici la liste :

  1. Lors des funérailles militaires, les soldats passent leur arme sur le coté gauche et le canon vers le bas, en signe de deuil et de respect. Cependant, passer l'arme à gauche ne serait pas alors le fait du défunt lui-même, mais de ses compagnons. Il semblerait alors plus logique de dire « faire passer l'arme à gauche ».
  2. À l'époque napoléonienne, les soldats devaient recharger leur fusil en arrachant une cartouche contenant la balle, ce qui implique de prendre son fusil avec la main gauche. En même temps, il se redressait, et était donc plus susceptible de se faire toucher par le feu ennemi.
  3. En escrime, passer l'arme à gauche était synonyme d'arracher l'épée (ou le sabre, ou le fleuret) de son adversaire, le laissant ainsi désarmé et donc mort.
  4. Au Moyen Âge, lors d'une union, il était possible d'accoler sur le nouveau blason les deux blasons des deux familles. Les armes de l'époux étaient à droite, et celles de sa femme à gauche. Lorsque le mari venait à mourir, sa moitié déplaçait alors les armoiries de feu son amant sur le côté gauche. D'où l'expression, mais l'objection appliquée à la première hypothèse est également valable ici.
  5. Le château de Carcassonne était de son temps une véritable forteresse : les soldats désirant en prendre le contrôle arrivaient par un chemin qui plaçait les remparts du château sur leur côté droit. De là, les archers pouvaient s'en donner à cœur joie, les soldats portant toujours leur bouclier du côté gauche(1). Les soldats, pour peu qu'ils ne veuillent pas mourir, passaient donc leur bouclier sur le côté droit (et donc l'épée à gauche, vous suivez ?), pour se protéger des flèches. Cependant, à force de progresser ainsi, ces soldats arrivaient sur les défenseurs, alors qu'ils avaient toujours leur arme à gauche. Étant moins adroits avec celle-ci que les défenseurs avec leur main droite, les attaquants se font donc en toute logique exterminer. Ainsi, passer l'arme à gauche devint synonyme de mourir. Peut-on malgré tout supposer que la particularité d'un château puisse produire une expression nationale ? À vous de juger.
  6. Enfin, il existe une dernière possibilité, qui repose elle aussi sur l'attaque des châteaux-forts. En effet, vous remarquerez que la majorité des donjons et autres tours médiévales possèdent des escaliers dans le sens horaire, avec un pilier central. L'assaillant, parvenu dans la forteresse, ne peut donc pas brandir son arme comme tout preux chevalier se doit de le faire(2). Alors, il décide de passer son épée dans la main gauche, et de continuer comme il l'a si bien fait jusqu'alors. Malheureusement pour lui, un défenseur de la cité l'attend à un endroit ou un autre de l'escalier, et lui peut garder son arme dans la main droite (car pour lui, le pilier central est à sa gauche). À un moment ou une autre, se passe alors l'inévitable rencontre et l'inévitable défaite de l'assaillant, ayant toujours son arme dans la main gauche. Ainsi, tous ceux qui auront passé l'arme à gauche seront autant de morts à l'issue de la bataille.

  1. (1) Et donc l'épée du côté droit, car ne l'oublions pas, à cette époque les gauchers étaient considérés comme des envoyés du démon.
  2. (2) Et par la même occasion massacrer tous ceux qui se présentent devant lui.