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Si Kyoto et Edo ne vous évoquaient absolument rien ce n'est pas bien grave, les deux articles précédents ont éclairé votre lanterne. En revanche si c'est Tokyo qui vous laisse de marbre il y a un réel problème. Symbole vivant du Japon de l'endroit comme du Japon de l'envers(1), capitale politique, économique et culturelle de tout le pays, mégapole mondiale, Tokyo est également un centre historique et high-tech dont les gratte-ciels lumineux et les rues bondées sont aussi célèbres que ceux de New York. Le quartier de Shibuya est sans doute connu des fashionistes que vous êtes avec sa Tour 109 à la pointe de la mode.

Mais c'est bien plus l'histoire de la ville qui nous intéresse plutôt que son actualité, encore que celle-ci soit fascinante. Nous sommes donc en 1868 et l'empereur Meiji s'est installé à Tokyo. Pour agrandir encore un peu plus la ville, qui compte déjà un nombre conséquent d'habitants, il étend ses frontières aux arrondissements(2) alentour et en 1889 ce sont 15 arrondissements qui forment la ville de Tokyo(3).

Meiji fait tout pour favoriser la modernisation de son pays. Il fonde en 1869 la prestigieuse université de Tokyo, démonte totalement le système féodal au profit de préfectures(4), instaure la circonscription pour faire défintivement disparaître la caste des bushi(5), ainsi que d'autres réformes radicales qui vont changer la façon d'être du pays tout entier. Lorsqu'il meurt en 1912 il peut être fier de son héritage ; il a gagné de nombreuses guerres laissant le Japon indépendant, a modernisé son pays et laissé derrière lui une nation unie et paisible.

Jusqu'à la deuxième guerre mondiale, Tokyo continue de se développer, il semble que son évolution n'a pas de fin. Seul le grand tremblement de terre de 1923 est venu ternir le tableau, faisant des milliers de morts et détruisant plusieurs quartiers de la ville. La guerre coupera court aux merveilles de progrès de Tokyo via des bombardements qui vont en grande partie détruire la ville. S'ensuit une occupation alliée et particulièrement américaine qui ne va pas favoriser la renaissance de la ville.

Ces deux tragédies présentent l'inconvénient de réduire en cendres une grande partie du patrimoine historique mais aussi sa corollaire, à savoir l'obligation de reconstruire les bâtiments. L'avantage étant que l'architecture et les moyens étant plus avancés que lors de l'essor de la ville, cela donne au gouvernement un réel désir de modernisation. Après les années 50, le gouvernement décide de favoriser la reconstruction plutôt qu'une politique sociale. Il dépense une grande partie de son budget en infrastructures et en industries faisant de Tokyo l'un des centre de la manufacture mondiale. Ce développement favorise plus tard la richesse de la cité et du pays.

En 1964 Tokyo accueille les Jeux Olympiques d'été, l'événement sportif le plus grandiose du monde et qui permet à la ville de se développer d'autant plus. Naissance du Shinkansen(6), construction de routes et autoroutes mais aussi progression fulgurante du tourisme, tous les éléments sont réunis pour que Tokyo se développe encore un peu plus, écrasant d'importance toutes les villes alentours.

Avec le développement de la vie urbaine et les exodes ruraux massifs principalement centrés vers Tokyo, la ville devient extrêmement dynamique et compétitive. Elle est l'un des centres économiques de l'est de l'Asie. En 1980 les migrations massives font exploser le prix de l'immobilier, provoquant une bulle qui n'explose que dans les années 90, organisant la faillite de nombreuses compagnies et particuliers pris dans des dettes conséquentes et une hypothèque immobilière en plein naufrage. Les années 90 sont connues comme étant une décennie noire pour Tokyo qui s'en remet lentement. Toutefois cette explosion du prix de l'immobilier a obligé la ville à développer des bâtiments particulièrement modestes favorisant un cachet asymétrique entre les hauts bâtiments de verre éclairés au néon contrastant avec des immeubles plus modestes, en bois et aux portes de papier qui font les caractéristiques du Japon de l'endroit et du Japon de l'envers.

De plus la capitale de l'Est se développe autour d'une architecture destinée à résister aux séismes. Les habitudes sismiques du pays obligent les ingénieurs à imaginer des bâtiments grandioses aux pieds souples permettant de ne pas s'effondrer au moindre tremblement de la croûte terrestre. C'est ainsi que le funeste tsunami de 2011 et son tremblement de terre n'ont nullement éprouvé la cité.

Récemment le gouvernement a plusieurs fois émis l'idée de déplacer les institutions administratives dans d'autres villes afin de freiner le développement de Tokyo et de favoriser celui de cités plus modestes mais jusqu'à aujourd'hui aucun de ces projets n'a été mené à terme. Tokyo reste le géant du Japon concentrant les industries et forces du pays. Avec une agglomération de plus de 37 millions d'habitants elle est la plus peuplée du monde et reste une région charnière du village mondial.


  1. (1) Ces deux concepts peut-être inconnus des lecteurs représentent symboliquement les deux faces du Japon. Le Japon de l'endroit est le Japon moderne, ancré dans le XXIe siècle, dynamique et développé, c'est le Nord du pays là où le Sud représente plutôt le Japon de l'envers, très agricole, peu développé et concentré, garant d'une tradition exotique aux yeux des occidentaux que nous sommes.
  2. (2) Tokyo est alors constituée d'un quartier central où réside l'empereur ainsi que ses courtisans mais également de bourgs périphériques plus petits.
  3. (3) Aujourd'hui 23 arrondissements spéciaux qui forment 23 municipalités dans la ville en plus d'une préfecture ; la « métropole de Tokyo » comprenant ces 23 arrondissements, 26 villes et d'autres terres disparates.
  4. (4) Avant Meiji chaque territoire était dirigé par un daimyo, dont nous avons déjà évoqué la relative indépendance vis à vis le pouvoir impérial. Meiji fait en sorte qu'il y ait un pouvoir impérial divisé en différentes préfectures.
  5. (5) Notamment les samurai. Grossièrement Meiji fait disparaître la caste des chevaliers en instaurant une armée de métier plutôt qu'un privilège accordé nobles.
  6. (6) Le « TGV japonais », ligne à grande vitesse reliant les plus grandes villes du pays entre elles.