La légende raconte que dans le pays de la logique, existait une prison un peu spéciale. Comme châtiment pour avoir tenté de voler la vérité, un des prisonniers fut condamné à mort. Mais pour alourdir encore la sentence, on lui expliqua qu'il serait exécuté au matin d'un des jours de la semaine suivante et que ce jour serait une surprise pour lui. Il faut dire que les gardiens de cette prison étaient un peu tordus…
Une fois seul dans sa cellule, le prisonnier raisonna et dit : « Je ne peux pas être exécuté le dernier jour de la semaine. En effet, si je suppose que l'exécution a lieu dimanche, je le saurais à l'avance la veille au soir puisque c'est la dernière possibilité. Or cela entre en contradiction avec la sentence qui dit que je serai surpris lorsque le bourreau apparaitra. Donc ma supposition est fausse et je ne serai pas exécuté dimanche. (1) ».
Cependant, le prisonnier put effectuer le même raisonnement sur la période du lundi au samedi pour éliminer le samedi également. Et ainsi de suite pour tous les jours de la semaine. Le prisonnier conclut qu'il ne pourrait être exécuté aucun jour de la semaine, donc il ne serait pas exécuté et décida de se la couler douce. Pourtant, le mercredi(2) matin, le bourreau se présenta, et effectivement, le prisonnier fut surpris et se fit exécuter.

— Mythes et légendes, aux éditions InventéSurMesure

Ce paradoxe est un grand classique(3) et nous ferait presque douter de la validité de la logique(4). Pourtant, il existe une solution qui consiste à dire que le prisonnier a violé le sens d'écoulement du temps. Ainsi, le raisonnement remonte le temps à rebours (on doit procéder dans l'ordre avec dimanche avant samedi, etc.) alors que la conclusion à chaque étape fait intervenir un écoulement du temps normal (je sais dès maintenant parce que demain est le dernier jour). La première étape semble donc valide pour dire que le prisonnier ne sera pas exécuté le dimanche, mais pour ne pas violer l'écoulement du temps, il ne peut pas utiliser cette information pour conclure des choses précédent dimanche. Pour bien comprendre, supposons que le gardien ait plutôt procédé ainsi : « Voici un calendrier, je vais t'annoncer le jour de ta mort et tu seras surpris. ». Dans ce cas, tous les jours sont mis sur un pied d'égalité et le sens d'écoulement du temps n'intervient pas. Le prisonnier n'a aucun moyen de conclure quoi que ce soit et le gardien peut donc lui annoncer n'importe quel jour pour le surprendre.

Une autre solution que je préfère s'appuie sur la formulation tordue de l'énigme(5). Il suffit de raisonner ainsi : « Si par un raisonnement quelconque j'arrive à éliminer un ou plusieurs jours, alors ces jours restent des jours potentiels puisque le bourreau me surprendrait en se présentant un de ces jours-là. Si j'élimine des jours, alors il redeviennentt possibles. Donc je ne peux en aucun cas savoir quel jour je serais exécuté. »(6). Ainsi le bourreau peut se présenter n'importe quand et même dimanche.

La seule alternative pour le prisonnier est encore de s'attendre chaque jour à être exécuté. Si c'est possible, cela lui garantirait la vie sauve mais la semaine terrible qu'il passerait alors serait peut-être pire que la sentence de la mort.


  1. (1) C'est un raisonnement par l'absurde. Si en faisant une supposition on trouve une contradiction, alors la supposition est fausse.
  2. (2) C'est toujours le mercredi dans ce paradoxe, allez savoir pourquoi !
  3. (3) C'est un euphémisme, il apparaît systématiquement dans les top 5 des paradoxes.
  4. (4) Pour comprendre que la logique est quand même préservée, il faut chercher du côté de l'autoréférence.
  5. (5) La sentence se fonde sur la surprise du prisonnier, un élément qui est lui-même affecté par le raisonnement. Ce principe d'autoréférence est le point de départ de bien des paradoxes.
  6. (6) Dans le raisonnement précédent, à l'instant même où dimanche est éliminé, il redevient possible et donc on ne peut pas éliminer les autres jours, ni aucun jour.