J'aurais voulu appeler cette série d'articles les conneries de Mao, mais ça n'était pas très politiquement correct. Je me suis donc ravisé. D'autant que la série en question ne fait que deux articles. Et qu'il reste beaucoup de personnes pour qui Mao est un symbole.

Mao, un triste symbole

Le Grand Bond en avant. Si ce nom vous dit quelque chose, c'est peut-être parce qu'il représente l'une des plus grandes tragédies humaines de l'histoire entière de l'humanité. Ou alors est-ce parce que vous avez lu cet article qui m'a inspiré celui-ci. Bref, dans tous les cas, sachez que ce Grand Bond en avant était censé amener la République Populaire de Chine au niveau de la Grande Bretagne, qui comptait à l'époque parmi les premières puissances industrielles.

L'effort se base sur les industries lourdes(1), et c'est donc tout naturellement que le charbon et la sidérurgie sont les deux secteurs privilégiés. Mais ce n'est pas tout ! L'agriculture est également l'âme d'un pays !
C'est l'agriculture qui doit permettre de nourrir la population et de dégager des revenus(2) suffisants pour ensuite pouvoir mettre en place l'industrie qui rendra à la Chine ses lettres de noblesse(3).

La Chine paysanne

La décentralisation met l'accent sur les communautés locales, qui deviennent des unités de production. Bien bien. Tout cela partait d'un bon sentiment, et ça aurait pu marcher. Ça a bien été le cas pour l'URSS qui s'est hissée au rang de deuxième puissance mondiale en un temps record après une Seconde Guerre mondiale qui l'avait ravagée !

Mais les méthodes employées sont catastrophiques. Et le résultat l'est encore plus.
La production agricole du pays s'effondre en un rien de temps, et les famines ravagent les campagnes (et les villes, qui ne sont plus approvisionnées). Les morts se comptent par dizaines de millions. Rendez-vous compte ! Ce sont peut-être plus de 30 millions de personnes qui ont péri à la suite de ce désastre ! Pour vous donner une idée, la France à la même période ne comptait pas encore 50 millions d'âmes. Et encore, le chiffre de 30 millions n'est qu'un estimation ! Car certains historiens donnent une fourchette plus élevée, avoisinant les 60 millions ! La France d'aujourd'hui rayée de la carte, tout simplement.
Mais les chiffres sont très flous : aucun observateur pour tenter un quelconque décompte, et le Parti Communiste aujourd'hui encore au pouvoir les cache volontairement pour ne pas ternir l'image du Grand Timonier(4). Car oui, comme je le disais plus haut, Mao reste le symbole d'une Chine qui se veut toujours communiste(5).

Le système était ainsi organisé : à la fin de 1958, 750 000 coopératives agricoles sont regroupées en 23 500 communes, constituées en moyenne de 22 000 personnes. Chaque commune contrôle tous les moyens de production indépendamment des autres, théoriquement auto-suffisantes pour l'agriculture, les petites industries, l'école et la sécurité locale (via une milice). On espère également que des excédents seront dégagés, et qu'ils permettront d'être réinvestis dans le développement plus général du pays.

Le programme se met en place avec différents degrés d'extrémisme selon les régions. Les cuisines et les crèches deviennent communes, s'opposant au modèle traditionnel de la famille. Dans certaines régions, des dortoirs communautaires sont même créés.

Dès le début de 1959, des signes de réticence de la population commencent à se manifester. Les conséquences économiques commencent à se faire sentir : pénuries de matières premières et de nourriture, surproduction de biens de mauvaise qualité, détérioration des infrastructures, et surtout démoralisation complète de la population. Bref, c'est déjà la catastrophe.
Les cadres du Parti s'en inquiètent, mais peu vont le faire ostensiblement. Un seul, en fait.

Il faudra attendre l'automne 1960 pour que l'ampleur du désastre soit si grande que Mao lui-même ne puisse détourner les yeux. Ce n'est qu'en 1961 que le Grand Bond en avant est officiellement stoppé. Mao prend sa retraite(6), avoue qu'il s'est plus ou moins trompé(7), et le gouvernement est obligé de remettre les choses un peu en ordre afin de sauver le pays qui passe à deux doigts d'un désastre total.
L'économie est exsangue : l'industrie ne retrouvera son niveau de 1960 qu'à partir de 1966 et la production céréalière celui de 1957 qu'en 1963.

Mais le mal est fait, et le pays ne se relèvera jamais vraiment de ce violent choc durant la décennie 1960. Les dissensions politiques vont s'accroître et mener notamment au retour de Mao avec la Révolution Culturelle. À voir dans le prochain article !


  1. (1) Comme il se doit pour une économie communiste.
  2. (2) Oui, le terme est impropre pour un système communiste, je sais.
  3. (3) Qu'elle a perdues sous les dominations impérialistes européenne et japonaise.
  4. (4) Le surnom de Mao. Un timonier est dans la marine marchande celui qui guide un bateau. Vous admettrez qu'on aura rarement vu pire navigateur.
  5. (5) Enfin, c'est maintenant une « économie socialiste de marché ». La bonne blague.
  6. (6) Pas définitive… malheureusement pour la population chinoise.
  7. (7) En voilà un bel euphémisme !

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