Dans la nuit du 27 au 28 avril 1796, plusieurs individus attaquent une malle-poste allant de Paris à Lyon ; ils assassinent sauvagement les deux postillons (à coup de sabres et de couteaux) et dérobent la somme gigantesque qui transitait : quatre-vingts mille livres en monnaie et sept millions de livres en assignats, l'argent étant destiné aux armées d'Italie (souvenez-vous de Bonaparte et du pont d'Arcole).

L'enquête de gendarmerie qui s'ensuit est un modèle du genre et rapidement les informations affluent. On découvre par exemple qu'un dénommé Laborde, marchand de vin de son état, aurait été le seul passager de la malle-poste et qu'il avait un sabre pour tout bagage. On pourra s'étonner que les autorités laissent un homme aussi louche emprunter un convoi aussi important, mais toujours est-il que le dénommé Laborde n'est pas retrouvé. Des rebondissements rocambolesques(1) mènent à l'arrestation de six hommes : Couriol, Lesurques, Guénot, Richard, Bruer et Bernard.

Lesurques ne cesse de clamer son innocence, arguant qu'il s'agit d'un terrible malentendu. Il est persuadé que le procès fera toute la lumière sur cette sombre histoire ; il ne le sait pas encore, mais ce procès restera dans les annales de la justice française.
Quant à Couriol, on découvre que son porte monnaie contient l'énorme somme de 1 170 460 livres en assignats… étrange.

  • Pendant le premier jour du procès (l'accusation), huit témoins confirment avoir vu Lesurques sur les lieux du crime quelques heures auparavant, même si l'accusé affirme ne pas avoir quitté Paris de la soirée.
  • Le second jour du procès (la défense) est l'espoir principal de Lesurques : en effet son “avocat” a retrouvé un bijoutier qui atteste de la présence de Lesurques dans sa boutique le 27 avril, le livre de comptes mentionnant effectivement l'achat d'une cuillère par le citoyen Lesurque, signature à l'appui. Mais le juge remarque une rature qui rend la date illisible(2)… il en conclut donc que les témoins à décharge ont été achetés par Lesurques qui se retrouve sans alibi.
  • Le troisième jour de ce procès qui passionne le Tout-Paris embrouille encore plus les jurés : le bijoutier revient sur sa déclaration (il a été inculpé pour faux), et la multitude de témoignages contradictoires complexifient encore cette affaire.

Finalement, à l'issue du procès, Couriol, Bernard, Richard et Lesurques sont déclarés coupables. Ils sont condamnés à la peine capitale, à l'exception de Richard, condamné au bagne pour recel.

Lesurques clame une dernière fois son innocence(3), mais fort logiquement personne n'y prête foi. Plus surprenant par contre, Couriol déclare à son tour que ses deux camarades sont innocents(4) ! Une déclaration tardive qui tombe elle aussi dans le vide, tandis que les gendarmes amènent les condamnés.

Quelques nouveaux évènements viennent s'ajouter à l'enquête, mais rien de probant. Finalement Lesurques est guillotiné – malgré une nouvelle affirmation de Couriol sur l'échafaud clamant l'innocence de Lesurques.

L'affaire du courrier de Lugdunum – Astérix et Obélix, le Tour de Gaule

Un procès comme on en trouve des centaines ? Pas vraiment. Ébranlé par la première instruction, le juge rouvre l'enquête et retrouve quatre ans plus tard Laborde – qui s'appelle en réalité Dubosq – lequel nie toute implication dans l'affaire (souvenez-vous : le passager de la malle-poste).
Les témoins se rendent à nouveau au tribunal et un seul d'entre eux revient sur son premier témoignage, les autres restant convaincus de la culpabilité de Lesurques(5). Mais dès que l'on pose une perruque blonde (courante à l'époque) sur Dubosq, la plupart des témoins changent d'avis… ce qui conduit Dubosq à la guillotine – Dubosq n'est pas convaincu d'être l'auteur de l'homicide du courrier ni du postier, mais seulement d'avoir aidé et assisté des criminels. Cette formulation ambigüe des jurys, si elle suffit pour exécuter Dubosq, ne réhabilite pas pour autant Lesurques.

Et maintenant, jeunes gens du XXIe siècle, que penser de cette affaire ? Beaucoup d'historiens estiment que Lesurques est lié d'une façon ou d'une autre à cette étrange affaire, qu'il se trouvait sûrement sur les lieux du crime mais qu'il aurait dû être acquitté au bénéfice du doute. Même si nous ne saurons probablement jamais la vérité, nous retiendrons deux choses : l'épitaphe de Lesurques, inhumé au Père Lachaise (Il fut victime de la plus déplorable des erreurs humaines), et l'importance de cette histoire dans les débats pour l'abolition de la peine de mort. Bref, une affaire majeure dans les annales de notre beau pays.


  1. (1) Cf. cette page pour les détails de l'enquête, et les raisons de l'inculpation de Lesurques .
  2. (2) Témoin, la date du 8 floréal portée sur votre livre est une surcharge, elle a été faite sur une autre date, celle du 9. Vous avez commis un faux et vous tentez d'égarer la justice. De pareils procédés sont inadmissibles !
  3. (3) Le crime dont on m'accuse est horrible ! Vous allez frapper un innocent. Le jour viendra où cette innocence sera reconnue, et mon sang rejaillira sur la tête des jurés !
  4. (4) - Lesurques et Bernard sont innocents ! Lesurques n'a jamais pris part au crime et Bernard n'a fait que prêter les chevaux et assister au partage du butin.
  5. (5) Je ne crois pas que je me sois trompé en désignant Lesurques, mais je suis sûr de ne pas me tromper en disant que je ne reconnais pas du tout celui-ci.