L'école, au premier sens du grec ancien σχολή, c'est le temps pris pour soi, hors du travail, pour apprendre, non pas un savoir-faire technique, mais des choses qui aident à se comprendre, à savoir qui on est, qui on pourrait être, à philosopher dirions-nous aujourd'hui. Un loisir dans le sens noble du terme(1)(2).
Pour Platon, le procès de son maître Socrate et son issue fatale(3) ne devraient pas advenir dans la République idéale et il s'attache à former convenablement la jeunesse(4). Son programme s'attache aussi bien au corps qu'à l'esprit et soigne particulièrement l'éducation de l'élite : le but est de préserver la Cité.
Aristote(5)(6), son disciple, devient précepteur d'Alexandre le Grand : le premier principe de sa pédagogie, c'est qu'il faut distinguer trois degrés successifs dans le développement de l'homme : la vie physique, l'instinct et la raison. L'éducateur – de l'élite principalement – doit respecter cet ordre naturel(7), c'est donc une esquisse d'éducation progressive.
Le pédagogue(8) (généralement un esclave) accompagnait les enfants sur le chemin de l'école et ceci afin d'éviter de mauvaises rencontres.

Pourquoi dit-on alors que Charlemagne « inventa » l'école ?
En fait, Charlemagne enjoint l'Église de prendre en charge l'éducation et ne la restreint pas à l'élite. Se développent alors des écoles monastiques, puis des écoles épiscopales, puis des universités. L'emprise de l'Église sur l'éducation fige l'enseignement : les méthodes d'enseignement sont formelles, reposent sur la connaissance livresque uniquement (on cite autant Aristote que la Bible), sur l'art de la dialectique, du discours, et toute remise en cause des dogmes établis par l'Église est bien sûr exclue.

Toute la scolastique de ces écolâtres(9) est critiquée par Rabelais, l'esprit perd toute initiative, on ne sait plus penser avec simplicité ni parler avec franchise. Rabelais n'admet pas l'usage de s'en rapporter pour tout à l'autorité, en oubliant la raison. À sa suite, Montaigne préfère à une tête trop pleine, une tête bien faite et propose des exercices de jugement et la culture de la pensée.
L'un et l'autre condamnent les méthodes brutales de la discipline en usage et pensent que « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». Rabelais, dont le programme d'étude est tout de même gargantuesque ! est le premier qui ait compris l'importance de l'éducation scientifique, de celle qui éclaire l'intelligence en faisant luire sur elle toutes les lumières, et si Montaigne est plus mesuré(10), il recommande au maître de développer l'initiative de l'élève, quelquefois lui ouvrant le chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir.
Pour Rousseau, l'enfant est naturellement bon et il faut le préserver des influences néfastes, ce qu'il appelle une éducation négative, une évolution « naturelle » mais encadrée.

Mais passons directement au concret dans le grand bouleversement de la Révolution Française.
Talleyrand souhaite l'instruction universelle et gratuite au service d'une éducation politique. Condorcet pense que l'instruction nationale permettra de passer de l'égalité de droit à l'égalité de fait(11). Il veut l'indépendance des écoles face aux églises. Robespierre veut publier des programmes nationaux pour garçons et filles et passer de l'Instruction publique à l'Éducation nationale(12).

Le Premier Empire voit la création des lycées pour les garçons, mais de nouveau, l'emprise de l'Église est énorme. Sous la Troisième République, les lois de Jules Ferry de 1881 et 1882 instaurent l'école laïque, gratuite et l'instruction obligatoire. Les instituteurs sont les hussards noirs de la République(13) face à l'opposition vigoureuse à la Séparation de l'Église et de l'État.

Le rôle de l'Éducation dans un état est primordial : on a connu hélas l'embrigadement des jeunesses hitlériennes. L'étude de l'histoire officielle, qui est toujours celle des vainqueurs, ou l'orientation de l'école comme formation professionnelle, par exemple, sont des orientations politiques(14) majeures : négligent-elles le développement de l'esprit critique, de l'autonomie ?
L'impact de la Première Guerre Mondiale explique en partie les mouvements tels l'Éducation nouvelle et la recherche de pédagogies différentes : en 1919, Rudolf Steiner crée la première école Waldorf ; en 1921, A.S.Neil crée l'école de Summerhill ; en 1922 Maria Montessori fait part de ses travaux dans des congrès internationaux ; en 1935, Célestin Freinet crée son école de Vence… En 1973, s'ouvre l'école de la Neuville, soutenue par Françoise Dolto ; en 1993, s'ouvre l'école libertaire Bonaventure sur l'île d'Oléron…

Que cherchent ceux qui fondent ces écoles ? Que cherchent les parents qui leur confient l'éducation de leurs enfants ?
Autrefois, sur les sentiers de l'école buissonnière, quelques enfants y découvraient une part de la vie qu'on n'enseignait pas sur les bancs de l'école. Aujourd'hui encore, le souci de former sans formater, sans déformer, d'épanouir des dons divers, de permettre à chacun d'apprendre la liberté, le respect, la créativité, les qualités humaines… inspire bien des gens.
Selon l'idéal qu'on envisage pour l'adulte, on invente une école, et parfois on accepte même la possibilité que nos enfants inventent autre chose !


  1. (1) Sénèque loue les mérites de l'otium (le nom latin du temps de loisir) et le considère comme la caractéristique de l'homme vraiment libre – mais en ajoutant qu'il est bon de le consacrer à un rôle social ou politique dans la cité. En grec, ascholia désigne le temps non libre, et en latin, nec-otium (négation du loisir) a conduit au mot négoce.
  2. (2) Pierre Bourdieu, dans son livre Méditations pascaliennes a donné au mot skholè un sens technique : « temps libre et libéré des urgences du monde qui rend possible un rapport libre et libéré à ces urgences, et au monde ». D'après Bourdieu, la skholè conditionne l'existence de tous les champs savants.
  3. (3) Socrate est condamné à boire la cigüe (un poison), donc à la mort.
  4. (4) Réalisez-vous que l'étape la plus importante d'une entreprise est le commencement, spécialement quand cela concerne quelque chose de jeune et de sensible ? Parce que, c'est à ce moment-là que le caractère se forme, et il absorbe chaque impression que quiconque veut lui imprimer. (Platon, la République)
  5. (5) Connu pour ses leçons données en marchant, d'où le nom des ses disciples : les péripatéticiens.
  6. (6) Les trois fonctions fondamentales du Politique sont la production, la sécurité et la gouvernance, avec donc trois classes sociales.
  7. (7) L'éducateur doit s'occuper du corps avant de songer à l'âme, développer l'instinct avant de s'adresser à l'intelligence, bien qu'en définitive il ne forme le corps que pour l'âme et n'excite les instincts que pour préparer les voies à la raison.
  8. (8) Du grec ancien παιδαγωγία, de παῖς, gén. παιδός, « enfant » et ἄγω « conduire, mener, élever ».
  9. (9) La scolastique désigne cet enseignement fait de citations latines ou grecques, que critiquera plus tard Molière dans ses comédies. Le préfixe âtre qui affuble le nom des maîtres nous éclaire sur la considération générale accordée à ces études.
  10. (10) Hélas, pour Montaigne, les jeunes enfants, non plus que les femmes ne l'intéressent : avant les comédies de Molière, il pense qu'une femme qui sait s'occuper de son mari et assurer les tâches domestiques en sait bien assez.
  11. (11) Il veut une école et un maître pour quatre cents habitants. Et chaque dimanche, l'instituteur assurera une conférence publique, ouverte aux citoyens de tous âges.
  12. (12) Tous les enfants seront élevés aux dépens (frais) de la République, depuis l'âge de cinq ans jusqu'à douze pour les garçons, et depuis cinq ans jusqu'à onze pour les filles. Les parents ne pourront soustraire leurs enfants aux bénéfices de l'école. (Projet de décret)
  13. (13) Expression due à Charles Péguy. Pour comprendre la stature sociale de l'instituteur, on peut se plonger dans la trilogie de Marcel Pagnol racontant son enfance.
  14. (14) Au sens noble des affaires de la cité et des citoyens.