100 % des lecteurs d'Omnilogie sont intelligents.

— Moi-même

Cette statistique encourageante est tirée d'une étude systématique des activités des lecteurs d'omnilogie lorsqu'ils quittent le site, accompagnée d'un sondage sur un échantillon représentatif de la population(1). On peut donc en conclure avec fierté que la lecture d'Omnilogie rend intelligent !

Je suis désolé de te décevoir, cher lecteur, mais, même en laissant de côté les procédés douteux d'obtention d'information pour cette statistique, la conclusion est fausse. En effet, et retenez bien ce qui va suivre, la corrélation n'implique pas la causalité.

Aussi, rassure-toi lecteur, je ne mets point en doute le fonctionnement de ton cerveau(2) mais j'affirme, aussi difficile qu'il soit de l'admettre, qu'on ne peut rien affirmer concernant la causalité entre ces constatations.

Prenons pour comprendre un exemple concret et plus parlant que nous appellerons la statistique du plat de nouilles(3). Depuis le XIXe siècle et jusqu'à nos jours, la quantité de pirates(4) a régulièrement diminué. Or cette quantité est très fortement corrélée à l'augmentation de température globale de la planète sur la même période, comme le montre la courbe suivante :

Corrélation linéaire entre la diminution du nombre de pirates et l'augmentation de la température moyenne sur Terre.

Conclusion : la diminution du nombre de pirates est la cause du réchauffement climatique. On peut même pousser le bouchon encore plus loin en annonçant à la une de sa feuille de chou : « Devenir pirate des mers, la solution contre le réchauffement climatique ! ». Débrouillons ensemble cet embrouillamini, car il y a plusieurs informations ici.

Tout d'abord, pour reprendre la recommandation sur la causalité, il faut effectivement se débarrasser de l'idée reçue que la corrélation implique la causalité. Cette idée est malheureusement tenace, malgré toute la vulgarisation scientifique, logique et statistique. Si un évènement X est corrélé à un évènement Y, rien ne permet de conclure quant à la causalité entre X et Y(5). Il se peut que X cause Y. Ou bien que Y cause X. Ou que X cause Y en même temps que Y cause X renforçant ainsi le phénomène. Il se peut aussi que X cause un évènement extérieur Z qui lui-même cause Y. Ou même que ce soit Z qui cause à la fois X et Y. Ou encore qu'aucun lien n'existe et que la corrélation ne soit qu'un hasard… Et tout cela étant possible alors même que la corrélation entre X et Y est excellente !

Quel est le lien de causalité entre X et Y ?

Par la suite, vous pouvez également exercer votre esprit critique sur l'étape supplémentaire qui consiste à proposer une solution à la situation. En effet, quand bien même l'extinction des pirates provoquerait effectivement le réchauffement climatique, rien ne permet non plus d'affirmer que leur multiplication produirait l'effet inverse(6). Malheureusement, cette étape supplémentaire est souvent aussi facilement franchie que la précédente. Méfiez-vous donc des prétendues solutions miracles appuyées par des chiffres comme la campagne de recrutement de piraterie précédemment évoquée.

Enfin, en troisième point, pourquoi n'employer son esprit critique qu'en aval de l'étude ? Il y a également des questions à se poser en amont des chiffres. Comment les résultats ont été obtenus ? Est-ce que l'échantillon est réellement représentatif(7) ? Est-ce que les paramètres de l'étude sont bien choisis et maîtrisés(8) ? Est-ce que l'étude est reproductible et d'ailleurs reproduite ? Est-ce que les auteurs de l'expérience ont des intérêts dans certaines des conclusions(9) ? Est-ce que les résultats veulent bien dire ce qu'on leur impute ?

Mais alors, ne peut-on absolument faire confiance à aucun chiffre ? Pas si vite ! Bien sûr que certaines expériences sont dignes de confiance, et heureusement. Il faut seulement s'attacher à ne pas accorder plus de signification aux chiffres qu'ils n'en n'ont. Par exemple, pour en remettre une couche, il ne faut pas transformer une corrélation en causalité. Mais par ailleurs, il faut aussi s'intéresser aux ensembles considérés.

Ainsi, si, dans un monde terrible, 90 % des délinquants étaient des motards, on ne pourrait absolument pas conclure que les motards sont plus portés sur la délinquance que les autres. En effet, on obtiendrait aussi ces chiffres si la propension à être délinquant était absolument la même pour tous, mais que la population était constituée de 90 % de motards. On pourrait même avoir des conclusions opposées au phénomène réel si par exemple la situation de jardinier était telle qu'elle transformerait à coup sûr ses membres en délinquants(10) mais que les jardiniers ne représenteraient qu'un seul petit pour cent de la population.

Un jardinier sympathique à tête de diable.

Enfin, il faut également faire attention à la formulation des résultats qui peut, tout en restant vraie, induire en erreur. Je pense par exemple à une formule malheureuse(11) qui disait, en parlant de cancer, que la consommation de champignons de nos jours est trois fois plus meurtrière qu'au début du XXe siècle(12). Vous allez comprendre l'idée avec des chiffres sous-jacents (qui étaient bien entendu passés sous silence dans l'article, j'en invente donc pour l'occasion). Mettons que la probabilité d'avoir un cancer fatal est de 1 sur un million et que, par un phénomène non expliqué(13), la consommation de champignons faisait à l'époque passer cette probabilité à 1,002 (sur un million toujours) contre 1,006 de nos jours. Il est vrai que l'effet imputable aux champignons est passé de 2 pour mille à 6 pour mille, l'effet a donc bien été triplé ! Mais franchement, passer de la probabilité de 0,000 001 002 à celle de 0,000 001 006, qui s'en soucie ?

Ainsi, il est important de prendre du recul par rapport aux statistiques et de bien exercer son esprit critique pour ne pas se faire simplement manipuler(14). Mais je sais bien, moi, qu'en tant que lecteur d'Omnilogie, tu ne t'abaisserais jamais à cela !


  1. (1) Échantillon resprésenté par ma propre personne et dont les questions posées par ma charmante secrétaire se limitaient pour l'essentiel à « Êtes-vous intelligent ? ». Ce à quoi j'ai répondu : « Cela dépend des jours. Par ailleurs je voulais également vous poser une question. Est-ce que votre réponse à ma question actuelle serait la même qu'à la suivante : Allez-vous dîner avec moi ce soir ? ».
  2. (2) Car tous les lecteurs d'omnilogie sont intelligents.
  3. (3) Si tu es curieux quant à la référence cachée, fouille donc un peu les références en bas de page. Indice : chercher du côté de Bobby Henderson.
  4. (4) La version tricorne, crochet, perroquet et navire.
  5. (5) J'ai l'air de radoter, mais il est difficile d'insister trop sur ce point.
  6. (6) Il faudrait d'abord proposer une explication et un protocole permettant de la valider ou de la rejeter.
  7. (7) Il faut une population suffisamment nombreuse pour justifier une statistique, et que les proportions soient respectées par rapport à la population totale sur un maximum de critère (c'est par exemple le cas pour déterminer l'échantillon dans le calcul de l'audimat). L'idéal souvent impossible étant bien sûr de réaliser l'étude sur l'ensemble de la population.
  8. (8) Il faut qu'ils soient suffisamment nombreux pour écarter toute possibilité de phénomène caché.
  9. (9) Même sans vouloir sciemment modifier les chiffres, il est bien plus facile de voir ce que l'on a envie de voir, en toute honnêteté intellectuelle.
  10. (10) Sans offense pour les jardiniers. Mais il est vrai que j'avais des pulsions déviantes lorsque mon voisin critiquait ma méthode de tonte pour sa pelouse. Il ne comprenait pas les nombreux avantages de la combustion, le pauvre.
  11. (11) Au contraire, parfaitement choisie.
  12. (12) Et l'article de taper sur le nucléaire, évidemment.
  13. (13) Disons à cause de l'augmentation du nombre de centrales nucléaires pour faire plaisir à certains anachroniques.
  14. (14) Et par exemple de tomber dans le travers annoncé dans le titre de l'article, du latin : avec ceci, donc à cause de ceci.