Salut à toi, lecteur toujours fidèle !
Salut à toi, lecteur occasionnel !
Salut à toi, lecteur qu'on dépucelle !
Salut à toi, quatrième rime en [εl] !

J'aime quadridécapoder(1) en ouverture. Mais trêve de billevesées, introduisons le sujet.

Je me suis fait couper les cheveux.
Certes, je ne me fais pas d'illusions quant à la propension de cette information à vous chaloir au-delà du raisonnable. Néanmoins, c'est elle qui m'inspira ce qui va suivre(2).

Or donc je me suis fait couper les tifs par un capilliculteur caricatural à souhait(3) armé de ciseaux qui coupaient(4) et d'un fauteuil qui tournait, alors que je comptais me faire tripoter la raie par la jolie stagiaire que j'avais aperçue en vitrine. Mais, alors que je m'avançais vers le comptoir pour m'enquérir des tarifs de celle-ci, je me suis fait doubler par une quinquagénaire à la tignasse décolorée qui m'a piqué ma meuf en me coiffant au poteau, reléguant le débroussaillage(5) de mon chef aux bons soins du merlan sus-portrait(6).

Bien entendu, cette expression ne prend pas racine dans le milieu des dompteurs d'épis, le poteau étant assez peu réputé pour son coupant. Quant à être coiffé sur le poteau, c'est très inconfortable au sens littéral comme au figuré, ce qui valut au fauteuil de lui être préféré dans le monde de la capilliculture.

C'est donc du monde des ongulés, et plus particulièrement de ceux qu'on fait courir en ronds en leur tapant dans le bide, que cette expression tire sa source. En 1906 apparut le sens de « dépasser d'une tête à l'arrivée d'une course » pour le verbe « coiffer », la coiffe étant traditionnellement portée sur la tête, et la ligne d'arrivée des courses hippiques étant matérialisée par un poteau sur l'intérieur de la piste, on se doute de la suite. Ainsi lorsqu'un bourrin bigarré pointait son mufle frémissant devant ledit poteau juste avant un autre à la robe baie – malgré les coups d'éperons que le nain bariolé surexcité le chevauchant lui assenait sous les vivats des rupins – on disait qu'il avait « coiffé son adversaire sur le poteau »(7).

C'est une fille ! Comment allez-vous l'appeler ? Expression française ? C'est joli.

Avide d'autres pratiques sportives, notre petite expression décida de s'immiscer un peu partout pour désigner le fait de battre un concurrent au dernier moment(8). Et puisque chacun sait que la vie est une dure lutte, on comprend l'emploi de cette expression pour toute victoire, sportive ou non, de justesse.

Vous pouvez maintenant aller frimer à Longchamp.


  1. (1) Ceci est un barbarisme admirable, car il est de moi.
  2. (2) Croyez bien que je compatis à la déception de ceux et celles qui avaient caressé l'espoir d'en apprendre un peu plus sur le droit de cuissage.
  3. (3) C'est-à-dire vêtu de blanc, la chemise déboutonnée jusqu'au nombril, le cul moulé dans un boyau de skaï, les mains embagousées de frais, l'encolure alourdie d'une chaîne en or et les mœurs ostensiblement helléniques, comme le veut la coutume.
  4. (4) Et qui coupent peut-être encore à l'heure où j'écris ces lignes.
  5. (5) Ceci est un barbarisme laid, car il est utilisé par le peuple.
  6. (6) Oui, de portraire, ignare.
  7. (7) Ou « coiffé son adversaire au poteau ».
  8. (8) Guillez, lui, se contenta de coiffer sur le poteau l'immense Jarvinen. (L'Auto, 27 août 1933).