L'hydrogéologie est une branche de l'hydrologie qui étudie les eaux souterraines, en particulier leur cheminement à travers la roche. Par exemple, quand une rivière disparaît dans un gouffre, c'est là que les hydrologues de surface laissent la place aux hydrogéologues dont la tâche consiste à déterminer où va l'eau, suivant quel itinéraire, quelles modifications physico-chimiques subit-elle, où ressort-elle, etc.

La Loue est une rivière de Franche-Comté qui court entre Ouhans (près de Pontarlier) et Parcey. Elle a la particularité d'être à la fois une résurgence du Doubs et également son affluent. Une partie des eaux du Doubs disparaît dans le sous-sol à travers des failles vers Arçon, avant de rejaillir quelques kilomètres plus loin à Ouhans. Cette résurgence est appelée la Loue qui retourne se jeter 70 km plus loin dans le Doubs. Illustrant par là même le fameux principe : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.  »

« - Mais quel rapport avec l'absinthe ? » fait remarquer une lectrice(1) restée sur sa soif après lecture du titre.

Eh bien, outre le fait que les hydrogéologues ont une réputation de solides buveurs(2), l'absinthe joue dans cet article un tout autre rôle que celui d'apéritif. Car une autre particularité de la Loue est la façon dont fut mise en évidence sa qualité de résurgence du Doubs. D'habitude lorsqu'un hydrogéologue veut vérifier si une rivière qui s'engouffre sous terre au point A est celle qui ressort au point B, il fait un traçage. C'est-à-dire qu'il injecte en amont de A un traceur, par exemple un puissant colorant tel que la fluorescéine, et attend en aval de B pour voir si l'eau qui jaillit contient le traceur. Cette méthode permet de suivre les écoulements de l'eau là où les hydrogéologues ne peuvent pas aller par eux-mêmes. Malheureusement les essais de traçage à la fin du XIXe siècle sur le Doubs n'avait pas permis de mettre en évidence une quelconque connexion avec la Loue, bien qu'elle fut fortement suspectée par les scientifiques.

C'est un coup du sort qui se chargea de mettre en lumière le cheminement sous-terrain d'une partie des eaux du Doubs. Le 11 août 1901, un éclair mit le feu aux usines Pernod de Pontarlier, en amont de la perte du Doubs. Ces usines fabriquaient de l'absinthe qui est un alcool très inflammable(3) et afin d'éviter une explosion générale, les ouvriers déversèrent des milliers d'hectolitres d'absinthe dans le Doubs(4). Deux jours plus tard, la source de la Loue se teintait de vert et dégageait une forte odeur d'absinthe. Il ne fallut pas longtemps aux scientifiques pour faire le lien et acquérir la certitude que la Loue était bel et bien une résurgence du Doubs. L'hypothèse sera définitivement vérifiée quelques années plus tard après un nouvel essai de traçage, plus conventionnel, qui cette fois sera couronné de succès.

J'ai couramment lu une erreur(5) au sujet de l'accident de 1901 que je tiens à rectifier. Il ne s'agit pas du tout de la première coloration (une des méthodes de traçage) de l'histoire de l'hydrologie. La première coloration en hydrogéologie a été réalisée en 1887 à la perte du Danube près d'Immendingen. Ce qui a permis de mettre en évidence la connexion avec la résurgence d'Aachtopf dont les eaux se jettent ensuite dans le Lac de Constance qui alimente le Rhin.


  1. (1) Je ne vois pas pourquoi ce serait toujours aux lecteurs masculins de trinquer. Après tout, j'espère bien qu'on a autant de lectrices que de lecteurs, alors tâchons de ne pas les oublier.
  2. (2) Rassurez-vous, point de discrimination envers les hydrogéologues. Ils assument fort bien leur réputation de bons vivants. Et ils ne sont pas les seuls, parole de géologue. Attention, rappelez-vous que l'abus de science est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.
  3. (3) Comme pourront en témoigner les amateurs de cet apéritif. Sauf les puristes, qui diront que traditionnellement, on ne flambe ni le sucre, ni l'absinthe. Mais je m'éloigne du sujet.
  4. (4) J'ai souvent entendu dire qu'en aval sur le Doubs : « des personnes remplissaient des bouteilles et que des soldats en garnison à Pontarlier emplissaient leur casque de cet apéritif improvisé.  » Néanmoins je n'ai trouvé aucune trace de tels actes dans les journaux de l'époque. Il peut s'agir d'une légende urbaine née de l'exagération de certains journaux ou d'une blague potache d'hydrogéologues.
  5. (5) Erreur notamment présente dans l'article sur l'absinthe de Wikipedia, ce qui prouve qu'il faut toujours vérifier ses sources, sans mauvais jeu de mot.